Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui, vous vous vouliez revenir sur l’agriculture, les sols et les litières. Je n’ai pas tout compris…
Oui car j’étais partagée entre deux sujets. Vous allez comprendre. Premièrement comme tout le monde, j’écoute inquiète les informations sur la crise agricole. Ce week end il y avait dans le journal le Monde une tribune intitulée « Le gouvernement doit se doter d’une politique de restauration des sols ». On ne peut être que d’accord. Les sols, pourtant centraux dans les systèmes de production agricole, sont peu considérés en tant que tel et il faut que cela change. Dans cette tribune, il était rappelé que 60% des sols en Europe sont dégradées, l’érosion, les labours fréquents, profonds et l’utilisation massive de pesticides sont les principaux responsables. L’utilisation d’engrais pallie en partie les problèmes de fertilité.
Et comme le disait parait-il Justus Liebig, chimiste allemand du 19ième siècle, inventeur du bouillon de cube mais aussi des engrais azotés, ces engrais sont une sorte de drogue qui rend le sol fainéant. Dans ce contexte, le sol ne devient qu’un support physique. Il faut donc redynamiser les sols, les restaurer, changer de modèle agricole. J’avais un peu l’impression de lire une tribune sur l’arrêt du tabac ou de l’alcool et la promotion du sport. Tout le monde sait ça… oui mais… ces changements demandent du temps, des efforts persévérants, et malheureusement pas toujours payant face aux exigences économiques des exploitations agricoles et au stress de la vie, en tout cas à court terme.
Et le second sujet ?
Le second sujet m’est venu après ma dernière chronique. En parlant de la décomposition des litières, des feuilles mortes des arbres, je n’ai à mon avis pas vraiment parler de sol. J’ai fait un hors sujet. La litière ce n’est pas du sol. Tout comme le compost, ou certains terreaux uniquement organiques, ils ne peuvent remplacer un sol.
J’avais donc deux sujets diamétralement opposés. Un sur les sols fatigués par une agriculture qui s’appuie sur la chimie minérale et un sur les litières et compost uniquement organique.
Alors qu’avez-vous choisi ?
De parler des deux ! Un sol c’est un mélange de matière minérale, de matière organique, morte et vivante, d’air et d’eau. Le sol agricole a bien tous ces éléments, mais érodés avec de faibles apports organiques, puisque la récolte empêche la formation de litière, il est souvent très pauvre en matière organique. Le compost de cuisine ou la litière de la forêt eux ne comprenne que de la matière organique morte, les feuilles ou les épluchures, et des organismes vivants tels que les collemboles, acariens, bactéries, ou champignons microscopiques. Il y a bien des minéraux en solutions mais pas de particules minérales comme des argiles, du sable ou des limons. Ce n’est donc pas un sol.
Mais cette litière enrichit le sol
Oui lors des pluies, les litières comme votre thé infuse et l’eau de pluie enrichie en molécules organiques diffuse dans le sol. Grâce à la faune et l’activité biologique, ces matières plus ou moins fragmentées, décomposées et colonisées par des microorganismes sont progressivement intégrées à la matrice minérale du sol. D’ailleurs, la matière organique du sol c’est surtout des produits microbiens liés aux argiles. Les horizons de sol superficiels sont ainsi plus riches, plus sombres que les horizons plus profonds.
Les horizons, ce sont les couches de sol ?
Oui c’est ça… observez les à l’occasion de travaux en ville. Des fosses pour les fondations permettent l’observation de profil de sol. Si la fosse est réalisée au niveau de jardin, ces horizons sombres de 10-20 centimètres, sont bien visibles. 10 % de la masse de ce sol est constitué de matière organique. Dans les sols agricoles c’est beaucoup moins, seulement de 2 à 3%, car en plus des faibles apports, l’érosion a pu décaper ces premiers centimètres plus riches. Il faut donc remettre des végétaux, de la biomasse, des litières dans les systèmes agricoles.
Donc remplir ses pots de fleurs de compost n’a rien à voir avec le remplir de sol.
Rien c’est peut-être un peu fort, mais non ce n’est pas pareil. Comme une plage de sable n’est pas un sol, un compost ne l’est pas non plus. Les propriétés d’un sol viennent justement de cette complexité, de ce mélange entre le minéral et l’organique. Et c’est bien ce que je voudrais que vous reteniez des sols. Complexes, pour les comprendre, nous avons besoin de physique, de chimie, de biologie. Les sujets de chroniques sont donc infinis pour vous faire aimer et donner envie de protéger cette ressource fantastique, au centre de notre vie de terrien. Et donc oui, le gouvernement doit se doter d’une politique de restauration des sols.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.