Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Une fois de plus, vous vouliez nous parler des effets du climat sur le sol
C’est ça Laurence. C’est un vaste sujet de recherche d’où on peut tirer bon nombre de chroniques. Il y a quelques temps j’avais évoqué les manipulations de température et de pluviométrie sur le terrain avec l’installation de couverture, de résistance électriques ou de gouttières au-dessus du sol. Et je vous disais que modifier la température du sol, même de quelques degrés, modifiait les activités biologiques et donc la vitesse de décomposition des matières organiques du sol. Depuis j’ai rencontré Mathieu Santonja, enseignant-chercheur à l’Université Aix Marseille qui m’a expliqué les effets de la sécheresse sur la vie du sol.
Et où avez-vous rencontré Mathieu ?
A Montpellier à l’occasion d’une rencontre entre chercheurs sur les effets des comportements des scientifiques sur le climat justement… mais c’est autre sujet. Le terrain de recherche de Mathieu est une forêt à une centaine de kilomètre au nord de Marseille, sur le site CNRS de l’observatoire de Haute Provence. Cette forêt de chêne pubescent est recouverte sur 400 m2 de panneaux automatiques amovibles qui ne se déplient que lorsqu’il pleut. Ce toit intermittent amplifie la période de sécheresse estivale et intercepte environ 30% des pluies.
Mais cela fait vraiment une différence car il ne pleut pas beaucoup en Haute Provence ?
Ah si quand même sous les panneaux les pluies annuelles sont de 640 mm contre 866 mm en dehors.
OK et qu’est ce qui est observé ?
Mathieu se demande si la diversité forestière modifie la réponse de la forêt à la sécheresse. Est-ce qu’une forêt uniquement de chêne subit la sécheresse de la même façon qu’une forêt composée de plusieurs espèces ? Il se trouve que naturellement la forêt de ce site est composée de zone uniquement de chêne (Quercus pubescens) et de zone où ce chêne est accompagné soit d’Erable de Montpellier (Acer monspessulanum) soit d’Erable de Montpellier et de Sumac (Cotinus coggygria). C’est parfait pour l’étude. Nous avons donc des zones sèches versus des zones arrosées et dans chacune, des zones avec une, deux ou trois espèces d’arbres.
Comment étudie-t-on l’effet de la sécheresse sur la forêt ?
La réponse à cette question n’est pas facile. Beaucoup de paramètres peuvent être suivis. Mathieu lui s’intéresse aux litières de feuilles. 3 tonnes de litière de feuilles par hectare sont produites chaque année. Dans cette litière, il observe des animaux de taille millimétrique, à peine visible à l’œil nu. Des acariens et des collemboles.
Des acariens… comme ceux de nos matelas ?
Les acariens sont un groupe d’animaux très variés avec pour certains des sortes de carapaces ou des formes toutes plus bizarres les unes que les autres à en inspirer des auteurs de science-fiction. Et oui, il en existe plein dans les litières des forêts. Les collemboles sont aussi très nombreux, de formes plus douces que les acariens, vous en avez peut-être déjà vus dans les composts où ils peuvent être très nombreux, souvent blancs et allongés. Enfin bref, ici 92 % de la mésofaune des litières, c’est-à-dire la faune de cette taille proche du ½ millimètre est composée de collemboles et d’acariens eux-mêmes constitués de plusieurs espèces. Toutes ces espèces constituent un réseau trophique avec des détritivores intéressés uniquement par les feuilles mortes et des prédateurs intéressés par leur voisin !
Ce qu’il faut retenir c’est que ces animaux en décomposant les litières sont indispensables au recyclage des éléments minéraux contenu dans ces litières. Ils participent à leur remise à disposition pour la croissance des arbres. S’intéresser à eux, à l’effet de la sécheresse sur leur comportement, c’est donc aussi s’intéresser à la résistance de la forêt à la sécheresse.
Et alors comment vivent-ils la sécheresse ?
L’abondance de ces animaux est réduite de 20 à 50% dans les zones sèches. Mais surtout certaines espèces résistent mieux que d’autres, certaines disparaissent alors que d’autres sont à peine affectées.
Lesquelles s’en sortent le mieux face à la sécheresse ?
C’est malheureusement les corps les plus mous, avec peu ou pas de chitinisation qui disparaissent. Moins protégés par leur tégument, ils sont plus sensibles à la sécheresse. Les acariens sont donc moins affectés que les collemboles. Les prédateurs aussi sont favorisés face à des proies affaiblies. Le réseau trophique est profondément modifié par la sécheresse.
Quelle que soit la composition des feuilles ? Est-ce que finalement être dans un environnement avec plus d’espèces d’arbres changent la donne ?
Oui c’est la bonne nouvelle de cette histoire tragique pour certains collemboles. L’abondance des animaux décroit également en zone de sécheresse avec mélange de litière, mais beaucoup moins. Les feuilles d’érable et de sumac apportent une alimentation plus riche que lorsque la litière est uniquement composée de feuille de chêne. Les feuilles d’érable et de sumac par leur structure particulière favorisent de plus le maintien de l’humidité.
Encore un exemple des bienfaits d’une diversité d’espèces sur la résilience des écosystèmes
Oui la diversité des arbres ici tamponne l’effet sécheresse sur la diversité des populations d’animaux de taille sub millémétrique, eux même responsables en partie du recyclage des éléments minéraux nécessaires à la croissance de ces arbres. Tout est lié et souvenez nous, tout passe souvent par l’invisible vie des litières et des sols !