L'humeur européenne de Bernard Guetta

Les raisons d’espérer

© Presidential Executive Office of Russia - Wikimedia Commons Les raisons d’espérer
© Presidential Executive Office of Russia - Wikimedia Commons

Chaque semaine sur euradio, retrouvez la chronique de Bernard Guetta, député européen, qui effectue un retour sur les actualités et événements européens actuels.

S’asseoir et pleurer ? Pleurer de rage et d’effroi en voyant la vitesse avec laquelle Donald Trump et ses hommes s’attaquent aux contre-pouvoirs américains et musèlent les élus républicains en menaçant de leurs opposer des candidats à leur main lors des prochaines primaires ?

Oui, pleurer de rage car dans leur entreprise de démolition de la démocratie américaine, Donald Trump et sa bande vont si vite qu’ils pourraient s’adjuger par la fraude les élections parlementaires de 2026. Il y a toutes les raisons de s’en effrayer mais se résigner à l’impuissance et s’asseoir ?

Non, là non, car les raisons de ne pas désespérer sont nombreuses.

Aux Etats-Unis même, il y a des magistrats pour dire l’illégalité ou même l’inconstitutionnalité de bien des décisions présidentielles. Pourtant trumpiste, le président de la Cour suprême s’est publiquement ému des attaques subies par ces magistrats. La Bourse et les milieux d’affaires s’inquiètent du chaos économique dont la guerre commerciale est porteuse. Beaucoup des électeurs de Donald Trump n’approuvent pas la brutalité des coupes claires dans les services de l’Etat. La démocratie n’est pas déjà morte aux Etats-Unis et l’attaque frontale dont elle est partout l’objet n’est pas un franc succès.

L’ardent soutien qu’Elon Musk avait accordé à l’extrême-droite allemande ne lui a pas permis de dépasser le score que les sondages lui promettaient depuis plusieurs mois. On peut même se demander si ce soutien n’a pas freiné sa progression car l’Amérique et le capitalisme n’ont pas forcément bonne presse auprès de cet électorat.

Dans toute l’Europe, ces courants ressurgis des années 30 avaient affiché des sympathies successives pour Vladimir Poutine puis Donald Trump. Avec ces deux hommes, les extrêmes-droites européennes avaient en commun l’autoritarisme, la dénonciation de l’immigration et la revendication d’une identité chrétienne mais maintenant que le Kremlin et la Maison-Blanche tentent de se rapprocher sur le dos des Ukrainiens et communient dans leur hostilité à l’Europe comment se réclamer d’eux tout en se disant nationalistes et européens ?

Cela devient d’autant plus difficile que les opinions publiques de l’Union sont clairement hostiles aux présidents russe et américain, inquiètes de leur connivence et désormais très majoritairement favorables à la constitution d’une Défense commune européenne.

Les partis sur lesquels misaient Trump et Poutine traversent une mauvaise passe et, parallèlement, dans un nombre toujours croissant de pays, les Poutine et Trump locaux se heurtent à de profonds mouvements de rejet.

En Hongrie, les sondages mettent Viktor Orban en minorité. Robert Fico, son ami slovaque, ne parvient pas à consolider un pouvoir extrêmement fragile. En Serbie, le président Vucic ne sait plus comment reprendre la main face à un mouvement de contestation qui ne cesse de se développer. En Géorgie, le pouvoir pro-russe échoue à faire taire l’opposition démocratique et pro-européenne. En Autriche, la droite s’est finalement décidée à gouverner avec le centre et la gauche plutôt que de former une impossible coalition avec l’extrême-droite. En Israël, Benjamin Netanyahou réveille le camp démocratique en voulant trop ouvertement s’inspirer de son ami Trump. Plus spectaculaire encore, en Turquie, l’éternel Recep Erdogan a suscité une indignation massive en faisant jeter en prison le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, l’homme qui pourrait le battre à la prochaine présidentielle.

La dictature n’a pas remporté la bataille des cœurs. La liberté fait toujours vibrer les hommes. L’aspiration à la démocratie les fait descendre dans les rues et il y a d’autant moins de raison de désespérer que l’Europe, bastion de l’Etat de droit, serre les rangs.

L’Union vient de faire de la Défense commune un objectif à atteindre dans cinq ans et d’instituer pour cela une préférence européenne dans l’achat d’armements. Le Royaume-Uni, la Norvège, le Canada et l’Australie amorcent avec elle la constitution d’un nouvel ensemble dont la Turquie se rapproche. C’est, en creux, une Alliance atlantique sans les Etats-Unis et le Kremlin la prend assez au sérieux pour en faire un adversaire déclaré.

Ni l’Europe ni la liberté ne sont mortes.