Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur le discours d’Emmanuel Macron du 9 mai, prononcé devant le Parlement européen à Strasbourg. L’idée d’une Communauté politique européenne qu’il a mis en avant vous interpelle ?
Oui pour plusieurs raisons. Déjà, parce que cette annonce a été une surprise totale. Aussi bien pour nous, Français, que pour les autres États européens ainsi que l’Ukraine. Une première question se pose : le Président français avait-il discuté de cette proposition avec ses homologues européens, ou bien l’a-t-il énoncé de manière à ce qu’elle s’impose à tous, sans besoin de concertation ? Ensuite, cette idée m’interpelle parce qu’elle évoque presque trait pour trait la proposition de François Mitterrand qu’il avait faite en 89 de créer une Confédération européenne. Aussi bien au niveau des mots qui sont choisis, que de l’idée en tant que telle, la proposition d’Emmanuel Macron est presque similaire en tout point. Et là, ça nous appelle à une certaine forme de prudence car on se souvient de l’échec du projet de François Mitterrand il y a plus de 30 ans.
Quelles sont justement ces ressemblances entre le projet de 1989 et celui de 2022 ?
La première, c’est l’objectif. Le projet de Confédération de Mitterrand et celui de Communauté politique de Macron poursuivent peu ou prou le même but : trouver le moyen d’associer les États d’Europe de l’Est à la construction européenne, sans passer par la case de l’adhésion à l’UE. C’est donc d’offrir un cadre de coopération plus approfondie à des États voisins. La seconde ressemblance, c’est la forme du projet proposé. Dans les deux cas, il s’agit de créer une structure institutionnelle supplémentaire qui permette d’instaurer un dialogue politique permanent et d’approfondir la coopération dans des domaines spécifiques que les simples accords d’association ne permettent pas de traiter : par exemple, les questions liées à la sécurité, à l’énergie, aux infrastructures ou aux transports. En résumé, c’est l’idée d’une Europe des cercles concentriques qui s’impose. Ensuite, il y a deux autres grandes ressemblances : le contexte politique dans lequel ces deux propositions ont été formulées ; et les maladresses des deux Présidents qui ont pu braquer leurs partenaires européens.
Parlons du contexte d’abord. Si en 1989, l’élément déclencheur de la proposition de François Mitterrand était la Chute du Mur, est ce qu’aujourd’hui cet élément déclencheur pour Emmanuel Macron, c’est l’Ukraine ?
Oui, la guerre en Ukraine a provoqué une onde de choc en Europe et elle a remis en question la construction européenne dans son ensemble. Beaucoup s’interrogent sur sa capacité à offrir une protection efficace, non seulement à ses États membres, mais aussi et surtout à son voisinage. C’est pour ça que la question de l’adhésion accélérée de l’Ukraine à l’UE s’est posée dès les premiers jours de la guerre. Et, en interne, les promoteurs de l’adhésion de l’Ukraine sont surtout les pays d’Europe centrale et orientale, ceux à qui était justement destiné le projet de Confédération européenne de François Mitterrand en 89. Le contexte de l’époque n’était pas le même car, contrairement à aujourd’hui, il était porteur d’espoirs : le mur de Berlin venait de tomber et on entrevoyait la fin des Blocs. Mitterrand rêvait alors d’une Europe indépendante, capable d’assurer sa sécurité. A ce moment-là, le Président russe Gorbatchev évoque la possibilité de créer une « Maison Commune » dans laquelle la Russie et l’Europe s’associeraient étroitement, et de leur côté, les États-Unis encouragent le développement du cadre de l’OTAN et de l’OSCE. Mais François Mitterrand a une autre idée : celle d’associer les pays nouvellement indépendants suite à la chute de l’URSS dans une grande confédération politique, sans pour autant qu’ils rejoignent formellement l’Europe des 12.
Pourquoi le projet de François Mitterrand a-t-il échoué à l’époque ?
Pour plusieurs raisons. La première, c’est probablement parce qu’il était trop tôt. C’était une bonne idée mais elle a été lancée dès la chute du mur, alors même que les ex-républiques soviétiques n’étaient pas encore tout à fait sorties du giron de l’URSS. La seconde raison de l’échec, c’est l’absence de soutien de la part des autres États européens. Au départ, l’idée a été plutôt bien accueillie en Europe, mais lorsque Mitterrand a cherché à la concrétiser en lançant les Assises de Prague en 91, il n’a pas réussi à convaincre. Les États européens, notamment l’Allemagne, et les pays d’Europe centrale et orientale, craignaient que la Confédération n’entre en concurrence avec les autres organisations, notamment l’OTAN et l’OSCE. En gros ils n’en voyaient pas vraiment l’intérêt. Et puis surtout du côté des pays d’Europe centrale et orientale, il y avait une réelle impatience à adhérer à l’OTAN mais aussi à la Communauté européenne. Or, la proposition de Mitterrand, comme aujourd’hui celle d’Emmanuel Macron, était vécue par beaucoup comme un moyen de contourner définitivement la question de l’adhésion et de l’élargissement.
Vous craignez qu’Emmanuel Macron ne répète les mêmes erreurs que son prédécesseur ?
Il y a un risque. Comme Mitterrand, Emmanuel Macron a d’abord lancé cette idée sans en avoir discuté avec ses partenaires. Ils se sentent donc un peu pris au piège. Et, là encore comme Mitterrand, mot pour mot, le Président Macron a eu la maladresse de rappeler qu’il faudrait, je cite, « des dizaines et des dizaines d’années » pour que l’Ukraine adhère à l’UE. Alors oui c’est un fait et je pense qu’il a raison. Mais il n’avait certainement pas besoin de le dire. D’ailleurs, le même jour, le 9 mai, 13 États membres ont signé une lettre dans laquelle ils s’opposent fermement à toute modification des traités et du cadre européen. Parmi les signataires, on retrouve la République Tchèque et la Suède, les deux pays qui assureront la Présidence du Conseil de l’UE après la France. Donc le projet de Communauté politique européenne, même si je pense que c’est effectivement une excellente idée, comme l’était à l’époque celle de François Mitterrand, aura probablement de grandes difficultés à voir le jour.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet