Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
La semaine dernière, les ministres de l’énergie européens se sont réunis pour prendre une autre salve de sanctions contre la Russie. Que faut-il retenir ?
Les ministres de l’énergie ont avancé, dans l’urgence, vers un embargo du pétrole brut et raffiné, qu’ils ont présenté le 4 mai au Parlement européen. Rappelons que la vente de pétrole à l’Europe a généré un revenu pour la Russie de 80 milliards en 2021 (contre 20 milliards pour le gaz). Le projet a été détaillé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’un débat en plénière à Strasbourg.
Le texte prévoit un arrêt des importations de pétrole brut d’ici six mois, celles de pétrole raffiné d’ici la fin de l’année. Une période de transition plus longue est proposée pour la Hongrie et la Slovaquie. De nouvelles banques, dont Sberbank, seront exclues du réseau interbancaire Swift. L’embargo n’est pas une solution facile, car la décision doit être prise à l’unanimité. Et la Hongrie n’est pas totalement convaincue des mesures qu’elle pourra prendre, donc son adhésion n’est pas acquise.
Pouvons-nous rappeler toutes les sanctions qui touchent l’énergie, décidées depuis le début de la guerre ?
Les sanctions pétrolières font partie du sixième paquet de mesures prises par la Commission. Tout ce qui touche à l’énergie est particulièrement délicat. Le premier acte de cette opposition a été la suspension du gazoduc Nord Stream II, début février, suite à la reconnaissance par Moscou de provinces ukrainiennes pro-russes.
À l’échelle européenne, les importations de charbon et autres combustibles fossiles solides en provenance de Russie seront interdites à partir du mois d’août. Depuis le 15 mars, il est interdit à toute entreprise européenne d’effectuer de nouveaux investissements dans le secteur de l’énergie russe ou d’exporter en Russie des biens et technologies de raffinage de pétrole. Et dans le cadre du programme RePower EU, Bruxelles a prévu de réduire largement les importations de gaz d’ici la fin de l’année.
Vous avez choisi ce titre « Fight Putin, Ride a bike » pour parler des sanctions aujourd’hui. De quoi il s’agit ?
On avance avec difficulté avec les sanctions. Alors que l'Europe a pris des sanctions historiques contre la Russie, les importations de gaz et de pétrole se poursuivent. Chaque jour, les Européens déboursent quelque 700 millions d'euros pour acheter les matières premières nécessaires au fonctionnement de leur économie. Un non-sens dénoncé sur les réseaux sociaux par de nombreux internautes. " Fight Putin, ride a bike (combattez Poutine, faites du vélo).
Devenu viral sur la toile, le slogan est simple et puissant ! Reprenant le bleu et le jaune du drapeau ukrainien, il a été créé par Harry Gray, un entrepreneur de 26 ans basé à Salford, au Royaume-Uni. "J'ai pensé qu'il était important de transmettre le message simple selon lequel le financement du marché mondial des combustibles fossiles permet à Poutine de continuer à financer sa guerre en Ukraine", a-t-il expliqué. "L'une des seules choses significatives que nous pouvons faire pour utiliser moins de combustibles fossiles russes est de faire du vélo plutôt que de conduire - d'autant plus sur les courts trajets.
Quel message mettez-vous en avant ?
Je crois qu’on n’insiste pas suffisamment sur le pouvoir des citoyens pour contribuer à l’efficacité des sanctions. Certes, il faut couper les ressources venant des hydrocarbures, tout en préservant la sécurité d’approvisionnement en pétrole et gaz. Pour atteindre cet objectif, les compagnies pétro-gazières et les ministres de l’énergie sont en première ligne. Mais si la demande diminue, ceci est d’autant plus simple.
À court terme, il y a des actions de bon sens que nous pouvons faire. L’Agence Internationale de l’Energie a même chiffré ce potentiel. L’Agence propose 10 actions immédiates qui peuvent être mises en œuvre dans les économies avancées afin de réduire la demande en pétrole avant la saison de forte demande. La mise en œuvre de la totalité de ces mesures, ne serait-ce que dans les économies avancées, permettrait de réduire la demande de 2,7 millions de barils par jour au cours des quatre prochains mois, par rapport aux niveaux actuels.
Parmi ces mesures, figurent la circulation alternée, le covoiturage, l’écoconduite et justement, l’usage du vélo. Des actions de court terme, qui en plus de faciliter les sanctions, permettrait de réaliser des économies, car une chose est sûre : on trouvera du pétrole pour remplacer celui russe, mais cela ne sera pas à bas prix. Et ça va durer longtemps. Assez longtemps pour nous faire réfléchir sur notre consommation d’énergie, qu’il faudra bien réduire.
Anna Creti au micro de Cécile Dauguet