Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui vous allez nous parler d’un thème qui revient de plus en plus dans les débats européens : l’énergie. Pourquoi est-ce un thème central selon vous ?
Pour plusieurs raisons. La plus évidente et la plus récente c’est bien sûr la guerre en Ukraine qui révèle de la manière la plus brutale qui soit l’extrême dépendance de l’Europe en matière d’importations d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon. La seconde raison est liée à la première : c’est bien sûr l’impact de la guerre en Ukraine sur l’augmentation des prix de l’énergie qui entraine une baisse significative du pouvoir d’achat des Européens. On perçoit donc les conséquences directes de notre trop grande dépendance et de l’absence d’une intégration suffisante en matière énergétique en Europe. Et même si les Européens démontrent une unité relativement forte aujourd’hui, dans le contexte de la guerre, il n’en reste pas moins que les questions énergétiques sont une source de clivage très importante en Europe.
Quels sont ces clivages justement ?
Les ressources et les politiques énergétiques des États membres sont extrêmement différentes. Les clivages dépendent donc de plusieurs facteurs : le degré de dépendance énergétique de chaque État ; la diversité des sources d’approvisionnements ; la diversité aussi du mix énergétique et le poids de chaque type d’énergie dans la consommation nationale (gaz, nucléaire, charbon). Depuis le début de la guerre en Ukraine, les comparaisons fleurissent : on sait que la France a une faible dépendance vis-à-vis de la Russie en termes d’importation de gaz notamment, tandis que d’autres pays sont parfois 100 % dépendants des importations russes. Par exemple, la part du gaz russe dans la consommation nationale en Allemagne représente presque 50 %. L’Italie, est la deuxième économie la plus dépendante de la Russie en matière d’importation de gaz. Les États baltes quant à eux, Lituanie, Lettonie et Estonie, sont presque dépendants à 100 % des importations de gaz russe. Les situations sont donc très différentes.
Et en ce qui concerne la diversité des politiques énergétiques des États membres, on ne peut pas ne pas citer la décision unilatérale prise par l’ancienne Chancelière Angela Merkel en 2011, de fermer la totalité des centrales nucléaires en Allemagne. Ce faisant, les Allemands produisent leur énergie à partir du charbon importé, ce qui constitue un non-sens écologique et stratégique.
On a le sentiment que les pays européens commencent seulement maintenant à s’interroger sur leur politique énergétique commune. Pourtant, l’énergie était un thème fondateur de la première communauté européenne ?
Oui, c’est ça qui est le plus surprenant. Rappelons-nous que la première communauté européenne s’est créée autour de la mutualisation des moyens de production du charbon et de l’acier, la CECA en 1951. Puis quelques années plus tard, c’est l’énergie atomique qui fait l’objet d’un nouveau traité, le traité Euratom, qui est née de la volonté française d'organiser la coopération européenne en matière de nucléaire civil pour assurer l'autosuffisance énergétique de l’Europe. Donc l’énergie a été dès le départ identifié comme un enjeu central, comme un moyen de rapprocher les États et les peuples d’Europe autour d’objectifs communs. C’est dans le domaine de l’énergie que se sont créées les premières solidarités européennes. Et pourtant, il n'y a plus eu d’avancées véritablement significatives depuis. Sauf depuis quelques années avec la menace climatique que l’Union européenne a pris à bras le corps et autour de laquelle elle a redéfini progressivement une politique énergétique commune, ou du moins une vision avec l’objectif de la neutralité carbone. Mais ça, c’était avant la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, les objectifs sont surtout à la stabilisation des marchés de l’énergie et donc des prix, et à la réduction rapide de la dépendance vis-à-vis de la Russie, « quoi qu’il en coûte ».
L’enjeu écologique risque de passer au second plan ?
C’est une possibilité oui. Mais la guerre peut aussi être l’opportunité d’accélérer la transition énergétique vers des énergies renouvelables notamment. Mais cette accélération, elle a un coût et ce coût sera exorbitant. Déjà que les économies européennes étaient très affaiblies par la crise sanitaire, là elles vont avoir du mal à se relever suffisamment vite pour réaliser les investissements nécessaires à la transition énergétique.
L’Europe de l’énergie : est-ce un rêve atteignable et à quelle échéance ?
C’est un rêve tout à fait atteignable. Mais comme tous les rêves, il faut se donner les moyens de les faire devenir réalité. La guerre en Ukraine, tout comme la crise sanitaire mais sur d’autres enjeux, a agi comme un révélateur auprès des Européens : ils placent désormais la question de l’énergie au centre de leurs discussions. Mais elle a aussi révélé les clivages importants qu’il va falloir résorber. Et ça ne se fera pas en un jour, c’est certain. Mais comme l’Europe avance toujours dans les crises – c’est une de ses caractéristiques presque ontologiques – on a toutes les raisons de conserver une certaine forme d’optimisme sur cette question, comme sur beaucoup d’autres.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet