Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Il n’est pas sûr qu’Emmanuel Macron ait une majorité à l’issue des élections législatives du mois de juin. Dans un tel cas, que se passerait-il ?
C’est vrai que nous sommes dans une situation inédite. Pour la première fois, on a un président réélu hors cohabitation : il est usé par le pouvoir, et une partie de ses électeurs ne souhaite pas lui donner une majorité claire comme en 2017… Les partis de gauche – LFI, PC, PS et EELV – ont créé la coalition NUPES, afin d’imposer au Président une cohabitation. C’est improbable, mais pas impossible.
Concrètement, que se passerait-il si NUPES avait la majorité à l’Assemblée nationale ?
La constitution prévoit que le Président est libre de choisir le Premier ministre. Complètement quand il a la majorité, et dans une moindre mesure quand il est en cohabitation. Dans ce cas, l’habitude est de nommer un parlementaire influent de la majorité, mais pas forcément le chef du parti majoritaire. En 1986, François Mitterrand a hésité, avant de nommer Jacques Chirac qui était le leader de la nouvelle majorité. De même, en 1993, Jacques Chirac, devenu Président, a nommé Lionel Jospin, qui était alors Premier secrétaire du PS. Mais en 1993, François Mitterrand a choisi Édouard Balladur, qui n’était pas le chef de la nouvelle majorité. Il n’y a donc rien d’automatique.
Mais Jean-Luc Mélenchon a fait inscrire dans l’accord d’alliance qu’il serait le Premier ministre en cas de victoire. Emmanuel Macron ne devrait-il pas respecter cela ?
Selon la Constitution, non. Et la nomination de Jean-Luc Mélenchon serait problématique. Le Président doit en effet choisir un Premier ministre qui s’accorde a minima avec ses conceptions pour tout ce qui concerne son « domaine réservé ». En France, le Président a un rôle prépondérant pour la défense nationale et la politique étrangère, en ce inclus la politique européenne. Il le conserve même en cas de cohabitation, surtout s’il vient d’être élu. Le Président doit donc trouver un Premier ministre qui partage ses visions, ou qui accepte de lui laisser les mains libres. La règle s’applique aussi aux ministres de la défense, des affaires étrangères et des affaires européennes : le Président doit valider les choix faits par le Premier ministre.
Donc, vous voyez mal Jean-Luc Mélenchon devenir Premier ministre ?
Ca me semble difficile – sauf si Emmanuel Macron se contente de participer à des inaugurations, ce qui n’est pas son genre. Je vois mal comment il pourrait s’entendre avec Jean-Luc Mélenchon sur les questions internationales, européennes et de défense : tous les oppose. Or, ils doivent s’entendre. Par exemple, lors des sommets européens, la France est représentée à la fois par son Président et par son Premier ministre. Il faut une ligne claire et il faut éviter la cacophonie. On voit mal Macron et Mélenchon participer ensemble à un Conseil européen consacré à l’Ukraine, à la défense européenne ou à la réforme des traités… Je n’imagine donc pas le Président nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon, et accepter qu’il choisisse certains de ses proches pour les portefeuilles du domaine réservé – défense, affaires étrangères et affaires européennes.
Mais un autre Premier ministre pourrait-il gouverner ? Les députés NUPES lui feraient barrage…
Le Premier ministre doit en effet trouver une majorité pour faire passer des lois, et il doit échapper à la censure. Mais Emmanuel Macron pourrait proposer Matignon à un député socialiste ou écologiste, afin de casser la coalition NUPES, qui est très artificielle. Ce Premier ministre gouvernerait avec une partie de la gauche et avec la majorité présidentielle, voire avec quelques Républicains. Quand on propose Matignon à un député, il refuse rarement, surtout si on lui promet un peu de liberté sur certains dossiers. Emmanuel Macron s’entendrait mieux avec un socialiste ou un écologiste sur les questions relevant du domaine réservé. Les députés LFI s’opposeraient évidemment à ce Premier ministre et à ce gouvernement, mais ils ne seraient pas assez nombreux pour s’opposer au vote des lois ou pour voter la censure. Pour Emmanuel Macron, la voie est étroite, mais elle existe.
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron