Comme toutes les semaines, nous accueillons Jenny Raflik, professeure d'Histoire à l'Université de Nantes pour sa carte blanche de la PFUE.
Le Parlement européen a voté mercredi 4 mai une résolution appelant au lancement d'une procédure de révision des traités de l'UE, pour répondre aux demandes citoyennes formulées dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Mais pourquoi ce pluriel toujours associé aux traités européens ?
On distingue en général deux types de traités : les Traités “fondateurs”. Ils sont au nombre de quatre : le traité de Paris, de 1951, instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier ; les deux traités de Rome, créant respectivement Euratom et la Communauté économique européenne de 1957 ; enfin le traité de Maastricht instituant l’Union européenne, en 1992.
Il y a ensuite ceux que l’on qualifie de traités modificatifs : l’Acte unique européen de 1986, le traité d’Amsterdam de 1997, le traité de Nice de 2001 et le traité de Lisbonne de 2007. C’est l’ensemble de ces textes que recouvre l’expression « traités européens ».
Mais tous ne sont plus en vigueur ?
En réalité, chaque nouveau traité approfondit le précédent.
Au départ du processus, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), avec 6 membres : l’Allemagne de l’Ouest (RFA), l’Italie, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces pays mettent en commun leur production de charbon et d’acier, mais surtout créent une organisation supranationale, et non plus intergouvernementale. C’est l’idée qui est poursuivie dans le cadre des deux traités de Rome en 1957, pour la Communauté économique européenne et Euratom.
Mais, en 1965, les trois organisations issues de ces trois traités fusionnent : la Haute Autorité de la CECA, la Commission de la CEE et la Commission Euratom deviennent LA Commission des Communautés européennes. Elle jouit alors de pouvoirs étendus, mais n’est que l’héritière de ce qui préexistait. Trois traités donc, pour finalement une seule organisation.
Et c’est ce processus qui se poursuit ensuite ?
Oui, très progressivement, et souvent face à des situations de crises.
À la fin des années 1960, c’est la crise monétaire internationale qui pousse les Six à amorcer une union économique et monétaire. En 1972 naît ainsi le serpent monétaire européen, ancêtre de l’euro. Il est remplacé en 1978 par le système monétaire européen (SME).
En 1974, sur fond de crise énergétique, les pays membres (ils sont désormais Neuf) créent le Conseil européen : désormais, les dirigeants européens se rencontreront au moins trois fois par an pour déterminer ensemble les grandes orientations politiques.
Puis en 1979, dans un contexte de crises multiples (Iran, Afghanistan, 2è choc pétrolier…), on décide l’élection du Parlement européen au suffrage universel, ce qui lui donne une importance et une légitimité nouvelle.
Et l’approfondissement débouche sur de nouveaux textes. Un accord est signé entre les pays du Benelux, la France et l’Allemagne en juin 1985, dans la petite ville de Schengen, sur la libre circulation des personnes. L’Accord de Schengen est par la suite intégré aux traités communautaires et étendu aux autres États membres.
La même année, en 1985, Jacques Delors, qui vient d’être nommé président de la Commission européenne, présente 310 mesures destinées à achever le “Marché unique”. En découle l’Acte unique de 1986, qui révise le traité de Rome sur la CEE : le fonctionnement des institutions est modifié. Le vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE est généralisé pour toutes les questions touchant au marché intérieur. Et le Parlement européen voit de nouveau son rôle renforcé.
La fin de la guerre froide marque-t-elle de nouvelles évolutions ?
Oui, après la fin de la guerre froide, les États membres veulent renforcer la dimension politique du projet européen : en 1992, le traité de Maastricht crée l’Union européenne et pose les bases d’une monnaie unique. Il institue également une citoyenneté européenne, ainsi qu’une politique extérieure et de sécurité commune (PESC).
Ensuite, les autres traités apportent quelques modifications au modèle de Maastricht, dans le sens général d’un renforcement des pouvoirs des institutions européennes.
Le traité d’Amsterdam de 1997 instaure ainsi un poste de Haut-représentant pour la PESC et intègre dans le champ communautaire les questions de visas, d’asile et d’immigration.
Le traité de Nice de 2001 réforme le système institutionnel pour l’adapter aux élargissements à l’Est de l’Union européenne, et favorise ces élargissements : 13 nouveaux pays adhérent entre 2004 et 2013.
Mais, parallèlement aux élargissements, l’Europe connait, on s’en souvient, une crise liée à la non ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe : au printemps 2005, les citoyens français ET néerlandais rejettent le texte.
La crise institutionnelle prend fin avec la signature du traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009. Celui-ci apporte de nombreuses modifications au fonctionnement de l’UE, notamment l’élection d’un président du Conseil européen pour deux ans et demi et l’extension des pouvoirs du Parlement européen. Elu au suffrage universel, il devient colégislateur avec le Conseil dans la plupart des domaines.
Avec le traité de Lisbonne se cristallise néanmoins une crise de confiance des citoyens dans le processus décisionnel européen, les référendums ayant été contournés par les dirigeants. C’est ce traité de Lisbonne qui serait aujourd’hui révisé si on suit les demandes de la conférence des citoyens.
Quelle est la procédure de révision du traité de Lisbonne ?
Les procédures de révision sont inclues dans le traité. Il y en a deux : une procédure de révision ordinaire et des procédures de révision simplifiées.
La procédure de révision ordinaire concerne les modifications les plus importantes, et notamment les compétences de l’Union. Elle peut être demandée par le gouvernement d’un État membre, par le Parlement européen ou par la Commission européenne. Celui qui la demande peut soumettre des projets de révision au Conseil de l’Union Européenne (au niveau des ministres), lequel les transmet au Conseil européen (au niveau des chefs de gouvernement) et les notifie enfin aux parlements nationaux.
Le Conseil européen peut alors décider de convoquer une conférence intergouvernementale (CIG). Les amendements aux traités qu’adopte la CIG n’entrent en vigueur qu’après ratification par tous les États membres.
Et la procédure de révision simplifiée ?
La procédure de révision simplifiée ne s’applique qu’aux politiques et actions internes de l’Union : le gouvernement d’un État membre, le Parlement ou la Commission peut soumettre au Conseil européen des projets de révision. Le Conseil européen peut, mais en statuant dans ce cas à l’unanimité, et non pas à la majorité simple, adopter une décision européenne modifiant tout ou partie de ces dispositions. Cette décision n’entre elle aussi en vigueur qu’après son approbation par tous les États membres.
Dans les deux cas, légalement, il doit y avoir unanimité, soit par la ratification, soit par la décision au sein du Conseil européen, de tous les États membres. Autrement dit, la démarche issue de la consultation citoyenne sera longue, et suscitera de nombreux débats. Certes, elle s’appuie sur une pression citoyenne, mais le forum de la consultation citoyenne a réunit 50 000 participations, sur près de 450 millions d’habitants dans l’Union, ce qui limite sa légitimité. Et de nombreux États membres seront peu enclins à accepter les révisions en question, notamment la suppression de la règle de l’unanimité. Si révision il y a, elle est donc loin d’être acquise.
Jenny Raflik au micro de Laurence Aubron