Cette semaine, vous vous êtes échappé de l’eurobulle bruxelloise et vous vous êtes remis à parcourir les chemins de l’Europe, alors, où vous trouvez-vous en ce moment ?
Je suis arrivé lundi au Royaume-Uni, et je me suis arrêté dans la bonne ville de ROYAL TUNBRIDGE WELLS, 45.000 âmes, située dans le Comté du Kent, à une heure au sud de LONDRES et à distance identique de DOUVRES.
Pourquoi ce choix ? Et qu’êtes-vous donc allé y faire ?
N’ayant pas mis les pieds Outre-Manche depuis le début de la pandémie de COVID, je comptais rencontrer le plus grand nombre de citoyens anonymes, afin de comprendre leurs avis sur le Brexit, sur la monarchie, sur la crise du système de santé, sur les grèves à répétition, sur la délinquance violente, sur la déliquescence du Parti conservateur au pouvoir, sur la désillusion de beaucoup quant à la démocratie parlementaire, sur la perspective de la (ré-)indépendance de l’Écosse et de la réunification de l’Irlande.
Quant au choix de TUNBRIDGE WELLS (autorisé à porter le prédicat ‘ROYAL’ par la grâce du Roi Édouard VII, en 1909), c’était pour éviter LONDRES, où l’opinion n’est en rien représentative du reste du pays. J’avoue aussi vouloir placer mes pas dans ceux du journaliste et essayiste libéral, également romancier (auteur de Vanity Fair et de Barry Lyndon), William Makepeace THACKERAY, installé ici dans les années 1860.
Et que vous disent les Britanniques que vous rencontrez ?
Ils ne refusent absolument pas de discuter avec un inconnu, d’autant que, comme THACKERAY qui y était assidu, c’est essentiellement dans les bars et tavernes que je me promène. Souvent, d’ailleurs, le débat finit par s’étendre à toute la salle.
Premier constat (que confirment les sondages) : une considérable majorité de Brexiteurs regrettent leur vote, et reprochent aux politiques pro-Brexit de leur avoir menti. Régulièrement citée, la promesse de Boris JOHNSON, selon lequel le Brexit entraînerait les Britanniques « vers les hautes-terres ensoleillées de la prospérité pour tous » provoque à parts égales hilarité et rancœur.
Entre pro- et anti-Brexit apparaît depuis peu une troisième catégorie : celle des Bregretteurs. D’autres maintiennent encore que l’idée était bonne, mais que le Parti conservateur s’est montré incapable, sous cinq Premiers ministres successifs, de livrer la marchandise escomptée.
Voilà qui contribue par ricochet au désamour, voire à la défiance, des Britanniques vis-à-vis de leur système politique. Les conséquences en sont palpables : des vagues de protestation et de grèves, notamment dans les transports et à l’hôpital, organisées par des groupes de circonstance, et qui échappent au contrôle des syndicats, réduits à courir derrière la rue pour tenter de récupérer la vindicte populaire.
De même, les regroupements de militants contre les violences faites aux femmes, ou contre la chasse, pour le climat, ou pour le désenclavement des régions situées loin de la capitale, ne prennent plus la peine de manifester devant le Parlement, mais s’adressent directement à la population en provoquant des embouteillages-monstres sur les autoroutes.
Autre sujet, dont on pense bien qu’il occupe les esprits des Britanniques : la monarchie…
La monarchie, en effet, sur deux plans bien distincts : d’abord, revient constamment l’interrogation quant à l’aptitude du nouveau roi à assumer pleinement la succession de feue sa mère. Les uns trouvent ce septuagénaire trop usé, alors que d’autres insistent qu’il est bien rodé et que, pratiquement avant tout le monde, il s’est attaché à la défense de l’environnement. Et il a déjà fait savoir qu’il réorganiserait le fonctionnement du Palais et de la famille royale – ce qui nous mène à l’autre aspect.
L’autre aspect, c’est en effet tout ce qui est défavorable à la monarchie, ou, en tout cas, à la famille royale. C’est évidemment le pitoyable roman offert depuis trois ans par les agissements du couple formé par le Prince Harry, Duc du Sussex, et son épouse, l’ancienne actrice américaine Meghan MARKLE. On en a atteint le point culminant cette semaine à l’occasion de la publication des mémoires du prince. Publier ses mémoires à trente-huit ans, cela vous étonne sans doute, mais rassurez-vous : c’est un romancier américain presque sexagénaire, scénariste de cinéma à ses heures, qui l’a rédigé d’une couverture à l’autre. Ce qui fait sourire ici, c’est qu’il a fallu mettre une équipe de linguistes sur le manuscrit, de façon à y supprimer les expressions trop américaines et faire parler Harry en anglais anglais.
Au début de la saga Harry-Meghan, les Britanniques trouvaient le couple inattendu et plutôt sympathique ; aujourd’hui, je n’ai rencontré personne qui en dise du bien : « Ce sont des gens qui vivent dans le luxe et qui vendent à la presse leurs problèmes psychologiques inventés », voilà résumé l’avis général ici, où la cote de popularité du prince s’est effondrée.
L’autre mouton noir de Buckingham, c’est l’un des frères du roi, le Prince Andrew, coureur de jupons sur le retour, qui a dû indemniser à coups de millions de Dollars une prostituée américaine qui l’accusait d’avoir eu des relations sexuelles avec elle, alors qu’elle était mineure d’âge. Le prince a nié, mais le prince a payé.
Le consensus ici, c’est que le Roi Charles III doit d’urgence écarter son frère et son fils cadet de tout rôle officiel – y compris leur interdire de paraître à son couronnement le 6 mai prochain.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.