Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous faites le tour des options de protection du continent européen au sens large…
L’actualité récente s’est concentrée sur l’accord conclu, au moins dans les grandes lignes, entre les États-Unis et l’Ukraine sur l’exploitation conjointe de ressources minières dans ce pays ; de même, on en est à analyser les suites des démarches successives à WASHINGTON du Président français et du Premier ministre britannique.
Mais un autre travail, bien plus vital, est discrètement déjà en cours ailleurs.
Où cela donc ?...
L’analyse dans les chancelleries de tous les pays européens, à quelques exceptions près, c’est que les États-Unis de Donald TRUMP ont unilatéralement brisé le lien de confiance transatlantique qui les unissait à l’Europe depuis près de quatre-vingts ans, et quelles que soient les paroles lénifiantes que les uns et les autres pourront prononcer ces jours-ci, le retour en arrière n’est plus désormais possible.
Et les Européens se retrouvent seuls, face à la menace russe, laquelle a d’ores et déjà déclenché une guerre hybride contre eux, à coups d’attentats, de sabotages, de désinformation, et de corruption.
Et que font-ils alors, ces Européens ?...
Ils commencent par se lamenter en feignant la surprise ; ensuite, ils recherchent à identifier les coupables de leur impréparation, initiative également stérile.
Enfin, ils se rendent compte que leur salut dépend d’un réarmement massif, seule dissuasion de nature à faire pièce à l’expansionnisme du Kremlin.
On imagine que cela prendra un certain temps…
Vous avez raison. En gros, au minimum cinq ans pour le plus urgent, c’est-à-dire l’aménagement défensif de la zone frontalière ou de contact, le renforcement des routes, ponts et viaducs, de façon à permettre le passage d’engins militaires lourds, ainsi que la multiplication des systèmes avancés de défense antiaérienne aux abords des sites sensibles, dont les réseaux d’électricité et de gaz, les ports, les aéroports et les nœuds ferroviaires, et les centres de télécommunication terrestre et satellitaire. Et, parallèlement, la familiarisation des populations civiles à la conduite à tenir en cas de conflit de haute intensité.
Et ensuite ?...
Ensuite, et pour partie, parallèlement, ce sera la priorité donnée à la constitution de stocks souterrains de munitions et de drones tactiques, éparpillés sur tout le territoire de l’Europe, ainsi qu’au développement et à l’accélération de la production d’un secteur militaro-industriel concentré et réorganisé par groupes de matériel non-concurrentiels. Prévoir une dizaine d’années de plus.
Et cela ne s’arrête pas là, sans doute ?...
En effet. Il y a le matériel, et puis il y a les hommes et les femmes appelés à s’en servir.
Ceci suppose ni la constitution d’une très importante force armée permanente, ni le retour du service militaire obligatoire, mais plutôt la création de groupes de réservistes volontaires locaux, dûment formés, à qui seront confiées des tâches d’observation et de renseignement, de logistique, de sabotage dans le périmètre de leur voisinage immédiat. Ici aussi, une dizaine d’années est nécessaire.
Mais à qui serait confiée cette tâche surhumaine ?...
Ni à l’OTAN (dont on ne sait même pas si, à moyen terme, les États-Unis y resteront), ni à l’Union européenne. Cette démarche souple permet d’y associer le Royaume-Uni, la Norvège, et l’Islande, et d’en exclure la Hongrie, la Slovaquie, la Serbie, et la Turquie.
Reste à lui trouver un nom. En tout cas, l’organisation territoriale et opérationnelle, ainsi que le langage et les procédures seront empruntées à l’OTAN, tout cela étant bien connu de toutes les armées d’Europe.
Et l’OTAN, justement, quel est son avenir ?...
Si les États-Unis s’en retirent, la nouvelle structure de défense européenne en prendra le relais à l’identique, les forces américaines étant, dans cette hypothèse, retirées du continent européen.
Si WASHINGTON demeure toutefois dans l’Alliance atlantique, on peut penser que ses forces présentes sur le sol européen diminueront de façon sensible, et ne constitueront plus qu’un moyen de dissuasion, la direction des forces européennes dépendant d’une hiérarchie proprement européenne, dont l’ébauche existe déjà.
Et que fera-t-on de la dissuasion nucléaire américaine, dont les trois pays baltes doutent à raison qu’elle soit toujours d’actualité ?...
Son sort est entre les mains de Donald TRUMP. Les Européens, eux, peuvent bénéficier du parapluie nucléaire de la France et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni (d’une moindre mesure, car leur capacité nucléaire a été achetée clef sur porte aux Américains – les Américains, qui en ont conservé le double des clefs.
Faites le compte : pour mener à bien cette nouvelle architecture de protection de l’Europe, les trois composantes pouvant être en partie menées de front, il faudra compter une bonne quinzaine d’années – ce qui ne peut qu’encourager le Kremlin à frapper, en quelque sorte préventivement.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.