Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, QD, vous pensez que le rappel du passé peut parfois éclairer le présent, c’est cela ?
En 1939, les citoyens des différents pays du continent européen s’informaient principalement par la lecture des journaux quotidiens et, de façon croissante, par la radio.
Dès avant le déclenchement des hostilités, la propagande des belligérants, l’Allemagne nazie en premier, allaient utiliser sans retenue la presse écrite et parlée pour s’introduire sans intermédiaire dans la tête des gens.
Mais la propagande avait deux publics bien distincts…
Il y avait – et il y a toujours – le message légitime destiné en interne par les gouvernements à leur propre population ; et, surtout, il y avait – et il y a toujours – les arguments ciblant spécifiquement les hommes et les femmes des pays ennemis.
Au début, on se contentait d’une approche un peu artisanale, par le largage aérien de tracts sur les positions des armées d’en face, ou par des journaux autorisés ou clandestins, rédigés et disséminés par des agents infiltrés en territoire hostile et par leurs collaborateurs locaux.
Mais l’irruption de la radio allait bouleverser la donne. Présent depuis à peine dix ans, ce jeune média présentait l’avantage de franchir sans effort ni délai les frontières des États, les barrières linguistiques, et l’illettrisme. Tout fait militaire pouvait être expliqué, déformé, inversé.
La ligne sous-jacente était simple : « vos dirigeants vous mentent, les restrictions alimentaires s’accumulent, vos armées sont en train de perdre, il est inutile de résister, car autant que vous, nous voulons la paix ».
A vous entendre, tout cela, au fond, serait toujours d’actualité ?
Mieux que cela : la propagande hostile dispose aujourd’hui d’instruments encore plus efficaces qu’à l’époque, la radio. Au premier rang, évidemment, les réseaux sociaux, qui permettent de distiller avec précision et sous une infinité d’identités d’emprunt des éléments de désinformation, à la fois très ciblés et à très grande échelle.
Notre époque est aussi celle, dans l’Union européenne, des propagateurs impénitents de messages qui confortent directement ou indirectement les positions des gouvernements russe ou chinois, notamment. Au nom d’une référence perverse à la liberté d’expression, cette véritable Cinquième colonne opère au vu et au su de chacun d’entre nous ; elle contribue avec efficacité à dérouter l’opinion, à baisser notre garde, à attiser haine et division, à discréditer nos institutions, l’État de droit, la démocratie parlementaire.
Alors, que faire ?...
Se dire d’abord que la définition du conflit entre États doit être revue ; le constat d’une activité militaire hostile ne doit plus en être l’unique critère.
A l’initiative de puissances hostiles, la dissémination constante et par tous les moyens de fausses informations, et le financement d’initiatives, de groupes, ou de partis politiques doivent être prises en compte, au même titre que les déclarations publiques outrancièrement belliqueuses de la part de dirigeants étrangers. On ajoutera qu’un État ne devra plus pouvoir nier toute responsabilité dans les agissements de groupes armés en lien démontré avec lui.
Autre chose à proposer, QD ?...
C’est que, dans le contexte actuel de guerre effective, mais non-déclarée, il faudra en effet dépoussiérer la notion juridique des actes de traîtrise, accomplis par un ressortissant d’un État contre les intérêts de celui-ci.
En 1945, les Britanniques ont pendu AMERY et JOYCE, animateurs de la radio extérieure allemande en langue anglaise ; la même année, les Français ont fusillé FERDONNET qui tenait le même rôle en français à Radio-Stuttgart. Aucun des trois n’a jamais eu une arme à la main.
Le précédent que constitue le sort de ces trois hommes démontre bien que la traîtrise ne se limite pas à porter l’uniforme de l’ennemi et à participer à une action militaire contre son pays d’origine.
Alors, disons-le : celles et ceux qui, aujourd’hui, chez nous, collaborent à la désinformation et à la propagande favorables à des États qui sont ouvertement menaçants à l’encontre des pays européens, sont des traîtres à la démocratie ; qu’ils soient désignés et traités comme tels.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.