L'édito européen de Quentin Dickinson

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Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, Q(D), l’actualité aux États-Unis et en Europe vous rappelle quelque chose, dix années dont nous n’avons pas pu ni voulu changer le cours…

C’était il y a quatre-vingt-seize ans, autant dire : un siècle. Venue des États-Unis, la grande crise économique débarque en Europe, et se répand rapidement, en dépit des tentatives en ordre dispersé des gouvernements de sanctuariser leurs marchés et leur industrie nationale. La production industrielle, justement, recule en France de près de 20 % pour la seule année 1931. D’aggravation en aggravation, quatre ans plus tard, on recense officiellement dans notre pays près d’un demi-million de chômeurs – en réalité, ils sont plus du double.

Et comment réagissent les partis politiques français ?...

Les coupables sont vite désignés : ce sont les étrangers. A la tribune de l’Assemblée nationale, ce 23 mars 1933, le député de la droite autoritaire Louis FOURÈS résume bien la pensée dominante du moment : « Il y a en France 330.000 chômeurs », s’écrie-t-il, et d’ajouter : « en rapprochant ce nombre de celui du million deux cents mille salariés étrangers, il est aisé de se rendre compte que, si les ouvriers étrangers quittaient la France, la question du chômage s’en trouverait résolue ».

Et la machine à refouler et à déporter commençait déjà à tourner. Depuis la Loi du 10 août 1932, l’accès à l’emploi des étrangers est contingenté par secteur d’activité et par Département.

A souligner cependant : l’agriculture en est prudemment exemptée. Fait rarissime sous la Troisième République, cette disposition législative a été adoptée à l’unanimité des députés.

Et ce texte est-il suivi d’effet ?...

Il l’est. Il faut dire qu’il fait l’objet d’un consensus gauche-droite, soutenu par les syndicats – en tête desquels caracole la CGT – soutenu aussi, de façon plus étonnante, par la Ligue des Droits de l’Homme.

Mais il y a pis encore à venir.

On l’imagine difficilement ! A quoi faites-vous allusion, Q(D) ?...

A un phénomène déclencheur qui porte un nom : celui d’Alexandre STAVISKY, né en Russie, arrivé enfant avec ses parents en France, naturalisé français. D’abord petit malfrat, vivant d’expédients et de grivèlerie, celui qu’on ne tarde pas à appeler le Beau Sacha se mue rapidement en escroc séducteur de haut vol, menant grand train et bien introduit dans les milieux politiques et économiques parisiens où il compte d’utiles amitiés.

Mais sa constante fuite en avant aura une fin : traqué par la police, on le retrouve près de CHAMONIX, agonisant dans une villa, la tête ensanglantée, un pistolet gisant à terre contre sa chaise. Les circonstances étonnantes – il se serait tiré pas une, mais deux balles dans la tête – n’empêchent pas les enquêteurs de conclure au suicide, ce qui a dû en arranger plus d’un.

La France n’échappera cependant pas à un scandale politico-financier de grande envergure – et à ses effets secondaires.

Comment cela ?...

Tout simplement parce que STAVISKY était juif. Et ceci va permettre de cibler la xénophobie ambiante plus précisément sur la population israélite – qu’elle soit française ou d’origine étrangère, d’ailleurs, on ne fait pas trop dans le détail.

Le corporatisme s’en mêle : redoutant la concurrence des juristes et des chirurgiens immigrés, souvent juifs, avocats et médecins obtiennent en 1933 l’adoption de la Loi ARMBRUSTER, qui interdit l’exercice des professions libérales aux étrangers non-détenteurs d’un doctorat délivré par une université française.

En France, la République se meurt ; elle veut bien reconnaître l’existence d’« une partie saine et laborieuse de la population étrangère », mais elle stigmatise « ces individus moralement douteux, indignes de notre hospitalité ».

A l’est de la France, HITLER est installé au pouvoir. Au sud-est, c’est MUSSOLINI. Au sud-ouest, c’est FRANCO.

Les Français sont ainsi bien préparés au régime de VICHY, à l’occupation nazie et à la collaboration, qui approchent à grands pas.

C’était il y a quatre-vingt-six ans, autant dire : un siècle.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.