Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez nous emmener dans le grand nord…
…et, pour être précis, au Groënland, cette île-continent appelée à une notoriété nouvelle grâce aux insatiables appétits impérialistes de Donald TRUMP.
Mais avant de parler géopolitique (comme tout le monde), voyons d’abord de quoi il s’agit.
Allons-y…
Le Groënland est d’abord une île gigantesque de plus de deux millions de kilomètres carrés, dont 81 % recouverts de glace. Le point culminant de ce désert blanc dépasse les 3.700 mètres, et de nombreux pics ne portent même pas de nom – sauf un, baptisé Matterhorn, comme le sommet éponyme dans les Alpes suisses. Plus de 80 % de l’île se situe au nord du Cercle polaire arctique, où se trouve d’ailleurs le point septentrional de la planète, curieusement nommé Île du Club-des-Buveurs-de-Café.
Seule la bande côtière est habitée ; la population n’a guère varié depuis le Xe siècle de notre ère, et dépasse à peine les 56.000 âmes, principalement dans la capitale régionale GODTHÅB (NUUK en groënlandais). La température moyenne, selon les saisons, y varie de -5° à +10° ; le record de température négative est de -69,6°, enregistré en 1991.
D’où viennent ceux qui ont choisi de s’installer dans cette terre a priori inhospitalière ?...
Les premiers habitants de l’île, au Xe siècle, furent des Vikings, venus de Norvège via l’Islande, sous la conduite d’Érik-le-Rouge, qui n’aura entrepris le voyage que parce qu’il avait été banni pendant trois ans pour cause de meurtre. C’est lui qui a choisi le nom du lieu : Groënland, c’est-à-dire Terre verte en vieux-norrois, ce qui s’explique par l’effet d’une phase de relatif réchauffement climatique au Moyen-Âge, responsable notamment de l’apparition d’une forêt boréale dans le sud de l’île.
La deuxième vague de peuplement s’est produite deux siècles après celle des Nordiques, avec l’arrivée des Inuits, ensemble d’ethnies venues – pense-t-on – de l’Alaska et poussant lentement vers l’est au fil des générations. Ce sont leurs descendants qui représentent aujourd’hui 88% de la population du Groënland.
Enfin, les Norvégiens allaient consolider leur présence sur place à partir du XIIIe siècle. Les années passaient, les siècles se succédaient, et les banqueroutes se multipliaient chez les marchands désireux d’exploiter les ressources naturelles de l’île, qui finirent par se réduire à la pêche à la baleine et à la chasse aux phoques.
Enfin, en 1814, le Traité de Kiel accorda au Danemark la pleine souveraineté sur le Groënland, désormais colonie danoise jusqu’en 1953, l’année où l’île devient un comté à l’égal des autres subdivisions administratives danoises en Europe. Et la population locale reçoit la nationalité danoise.
Justement, comment se passe cette incorporation ?...
A l’époque, le mot d’ordre est à l’intégration et à la dé-groënlandisation. Les enfants les plus prometteurs sont envoyés dans des pensionnats au Danemark, d’où ils peuvent poursuivre des études supérieures sur place. Il faut se situer dans l’esprit de ces années-là : l’objectif était bienveillant, mais les conséquences allaient en être une dislocation des liens familiaux traditionnels, la fin de l’économie informelle fondée sur la chasse et la pêche, une urbanisation croissante, le désœuvrement et l’alcoolisme.
Au cours des cinquante dernières années, l’on a assisté à un renouveau de la langue et des traditions d’antan, porté par une élite dano-groënlandaise, formée à l’université, créée en 1987 dans la capitale.
Et les habitants ont-ils toute latitude pour déterminer leur destin ?...
Les Groënlandais sont habitués aux référendums : en 1979, ils choisissent l’autonomie limitée et la création d’une assemblée élue, assorti d’un gouvernement local, le Parlement à COPENHAGUE conservant la main sur les relations extérieures, la défense, et les ressources naturelles.
En 1985, ils quittent la CEE de l’époque, en conflit avec laquelle ils se trouvent sur la réglementation européenne sur la pêche ainsi que sur la commercialisation des peaux de phoques.
En 2009, ils récupèrent les compétences sur la police, la justice, et les ressources naturelles. Le peuple groënlandais est reconnu en droit international.
COPENHAGUE continue à soutenir l’île à concurrence de près d’un demi-milliard d’Euros par an, subvention appelée à décroître au fur et à mesure que se développent les recettes des ressources naturelles.
Les élections législatives de cette semaine ont vu la chute de la coalition de centre-gauche sortante, et la victoire du centre-droit et des indépendantistes modérés. Le scrutin s’est tenu sous l’ombre de Donald TRUMP, lequel aura contribué à faire perdre des voix aux indépendantistes durs, d’ailleurs très en retrait par rapport à leurs succès considérables dans les années 1970. En ces temps incertains, la protection danoise et européenne paraît en effet plus sûre.
Justement, parlons des liens du Groënland avec les États-Unis…
C’est en fait une histoire ancienne : dès 1946, WASHINGTON propose d’acheter le Groënland aux Danois contre cent millions de Dollars de l’époque. Refus indigné de COPENHAGUE. Mais, cinq ans plus tard, les Accords dano-américains autorisent l’installation de bases américaines et dans le cadre de l’OTAN ; la construction de la grande base aérienne de THULE nécessitera le déménagement de trois villages à une centaine de kilomètres de là.
Dans le plus grand secret, les Américains se mettent à creuser, histoire d’installer des silos pour leurs missiles intercontinentaux à tête nucléaire.
Mais la nature, rétive, aura le dernier mot, et le chantier est abandonné en 1966. Les autorités danoises ne découvriront le Projet (nom de code) Ver-des-Glaces que l’année suivante.
A noter : en 1917, le Danemark avait vendu aux États-Unis sa colonie des Indes occidentales pour la somme de 614 millions d’Euros actuels. Aujourd’hui, cet archipel s’appelle les Îles vierges étatsuniennes. Mais à COPENHAGUE, on préférerait qu’on oublie ce précédent.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.