L'édito européen de Quentin Dickinson

Autopsie du chaos

© Gage Skidmore, (CC BY-SA 2.0) Autopsie du chaos
© Gage Skidmore, (CC BY-SA 2.0)

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous vous êtes livré à une enquête approfondie…

L’histoire commence il y a près de dix ans. Un homme d’affaires américain, jusque-là surtout connu pour ses projets immobiliers démesurés, son émission de télévision, et son divorce aussi retentissant que coûteux, ambitionne de se présenter à l’élection présidentielle de son pays.

Cet homme – vous l’aurez reconnu – c’est Donald TRUMP. Il manie certes les dollars à la pelle, mais il ne s’intéresse pas vraiment à la macroéconomie. Comme, pour sa campagne, il faut bien pouvoir se prévaloir de quelques idées un peu originales dans ce domaine, il charge son gendre, Jared KUSHNER, de lui dégotter un conseiller économique. Après quelques contacts infructueux, celui-ci consulte le site amazon.com, note le titre de nombre d’ouvrages savants ou se voulant tels, et finit par tomber sur un texte intitulé La Chine, piège mortel pour l’Amérique, dû à un certain Peter NAVARRO. Avantage : celui-ci a aussi publié deux pamphlets soutenant le retour au protectionnisme à outrance pratiqué aux États-Unis pendant quelques années, vers la fin du XIXe siècle.

Cela sonne bien, cela complètera utilement le mirage d’un retour au bon vieux temps, qui parle à l’inconscient des électeurs inquiets du risque de leur déclassement social. Formidable : c’est le cœur de cible du candidat TRUMP.

Dans ses écrits, M. NAVARRO n’est pas homme à se rendre coupable de plagiat ; d’ailleurs, il n’hésite pas à citer régulièrement le Professeur Ron VARA, à l’entendre, un expert mondialement connu des droits de douane.

D’ailleurs, pendant la campagne, Ron VARA allait très régulièrement intervenir sur les réseaux sociaux pour soutenir le candidat TRUMP ; l’un de ses slogans préférés était ‘Donald, vas-y, chevauche les droits de douane jusqu’à la victoire !’

Étonnant, mais tout cela tient la route, quand même, non ?...

Non, à l’examen, pas tant que cela. D’abord, ce NAVARRO s’avère être un obscur boursicoteur, dont les œuvres, rédigés à la va-vite, servent essentiellement à se crédibiliser auprès d’éventuels investisseurs.

D’autre part, le Professeur Ron VARA n’a jamais existé… ‘Ron VARA’, c’est tout simplement l’anagramme de son propre nom – ‘NAVARRO’-‘Ron VARA’…vous saisissez ?...

Alors, la supercherie découverte, on imagine que cet individu peu recommandable a été aussitôt exclu de l’équipe de campagne de Donald TRUMP ?...

Erreur ! Ce serait sous-estimer la gluante et efficace servilité dont NAVARRO s’est montré capable à tout instant auprès d’un TRUMP, ravi de la présence à ses côtés d’un personnage, qui lui livre clef sur porte des arguments économiques en racontant partout qu’elles viennent de TRUMP lui-même.

C’est même tellement efficace que Peter NAVARRO est pratiquement le seul conseiller à avoir survécu depuis la campagne de la première élection de Donald TRUMP jusqu’à aujourd’hui. Au passage, saluons l’artiste.

Mais c’est incroyable : dans l’entourage de TRUMP, personne ne cherche à contester son influence ces jours-ci ?...

Si, bien sûr, car dans un cabinet, les rivalités sont nombreuses, mais les survivants bénéficient de la magie qui entoure et explique leur longévité.

Notons simplement que l’autre jour, Elon MUSK a publiquement traité NAVARRO d’’imbécile’ ; mais le départ de MUSK étant programmé, il est probable que ce soit celui-ci qui s’attire une (éventuelle) réprimande présidentielle.

Vous vouliez compléter cet affligeant tableau d’un autre aspect du Monde selon TRUMP qui a surpris quantité d’observateurs…

On était en effet nombreux à ne pas comprendre la présence de petits États ou territoires, dont certains inhabités, dans la liste brandie par Donald TRUMP, telles les Tablettes de la Loi, et qui énumérait les pays frappés de droits de douane.

L‘explication est aussi simple que désarmante : les petites mains de la Maison-Blanche avaient simplement pris pour base la liste des indicatifs des pays telle qu’utilisée pour les courriels : exemples : ‘fr’ pour la France, ‘be’ pour la Belgique, ‘uk’, le Royaume-Uni, ‘de’, l’Allemagne, et ainsi de suite.

La liste des partenaires commerciaux habituels des États-Unis a été complétée de tout territoire situé en Asie-Pacifique et dans les deux zones polaires, tous réputés stratégiques.

Inutile de chercher une éventuelle volonté de faire sourire le chaland – parmi bien d’autres cibles, l’humour est particulièrement mal vu à la Maison-Blanche de Donald TRUMP.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.