Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.
Aujourd’hui Edith Le Cadre, vous nous invitez à repenser l’agroécologie à l’aune d’un nouveau concept, celui des socio-écosystèmes
Tout au long des différentes chroniques que nous avons fait ensemble Laurence, nous avons vu que l'agroécologie combine des concepts agronomiques et écologiques. Aujourd’hui, j’aimerai aborder une dimension sociale, car l’agroécologie ce sont des hommes et des femmes qui la pratiquent et qui s’inscrivent, parfois, dans des revendications et des mouvements.
En effet, Edith, vous n’avez eu de cesse de nous rappeler les différentes dimensions de l’agroécologie, et je renvoie nos auditeurs vers une précédente chronique intitulée « Les nuages de mots de l’agroécologie ». Quel besoin avez-vous eu Edith, de nous parler de cette définition des socio-écosystèmes ?
L’origine de ce concept est né du besoin de mettre en avant que les systèmes écologiques sont en interaction avec les activités humaines. Le changement de nos pratiques, modes de vie rentre en interférence avec notre rapport à la nature, une question donc très sociale.
Par ailleurs, nous savons qu’il existe de nombreuses perturbations qui exercent des pressions sur les écosystèmes, y compris agricoles, pouvant les faire basculer irrémédiablement d’un fonctionnement à l’autre, en jargon scientifique ces points sont appelés des points de bascule.
Or, il existe de nombreuses perturbations, certaines naturelles et d’autres induites par le changement d’usage des terres.
Ces perturbations se conjuguent entre elles et rendent très délicates la compréhension, la prédiction et de gestion des écosystèmes face à des perturbations. Aujourd’hui aucune discipline ne peut expliquer à elle seule les changements observés sur le fonctionnement des écosystèmes et sur la planète.
L’enjeu est pourtant de taille, car il en va de notre vulnérabilité et capacités d’adaptation à ces perturbations.
Face à cette difficulté conjuguée de mesurer, prédire l’ensemble des interactions et rétroactions à différentes échelles, le besoin de conceptualisation s’est vite imposé.
Pouvez vous nous donner la définition des socio-écosystèmes Edith ?
Je vais vous donner la définition de Lagadeuc et Chenorkian de 2009. Les socio-écosystèmes correspondent à des systèmes intégrés couplant les sociétés et la nature ce qui vise finalement à redéfinir les écosystèmes en considérant explicitement l’ensemble des acteurs, en intégrant donc l’homme comme une composante active du système
L’objectif de cette définition est de mieux intégrer les sciences sociales avec les sciences écologiques pour une gestion durable des ressources. Les normes, valeurs et croyances des personnes sont donc prises en compte, étudiées et intégrées afin de respecter le droit des peuples et des individus à décider de leur avenir.
Est-ce que les sciences économiques et politiques sont intégrées à ce concept ?
Oui tout à fait, nos auditeurs et auditrices doivent se représenter ce concept des socio-écosystèmes comme un triangle, dont les 3 sommets sont le système écologique, le système humain et enfin le système de gouvernance. Les activités économiques sont toutes comprises dans l’espace défini par ces 3 sommets. Par exemple l’utilisation de la biomasse du bois pour des raisons énergétiques d’une société peut dépendre de la politique en faveur de cette énergie et des soutiens au maintien des filières bois-énergie.
Vous avez parlé de concept, mais en quoi ce concept peut aider à transformer les activités y compris agricoles ?
C’est en effet une question qu’on pose souvent aux théoriciens et théoriciennes. Dans ce cas précis, l’émergence du concept s’accompagne également d’un cadre d’analyse, qui prend en compte l’ensemble de ces relations entre les sommets du triangle car le danger lorsqu’on parle d’adaptation et de résilience est d’oublier une composante ou alors de suroptimiser seulement l’une ce qui au final conduit à la perte globale de la résilience des systèmes.
En agriculture, les exemples sont assez nombreux si je pose la question suivante : – et si demain, il n’y avait plus d’éleveurs ? Il n’y aurait alors plus de prairies dont on sait l’importance pour le stockage du carbone et donc l’atténuation du changement climatique…
Cet exemple est très caricatural car la question de l’élevage mériterait que nous en discutions plus longuement, mais il permet assez vite de percevoir l’importance de préserver une dimension sociale dès lors qu’on parle de transformation et d’agroécologie
Entretien réalisé par Laurence Aubron.