Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.
Aujourd’hui Edith Le Cadre, vous nous invitez à repenser le lien entre humain et non humain pour la conception de systèmes agroécologiques
En effet Laurence, les enjeux de conception de systèmes agroécologiques sont immenses et nous en avons maintes fois discutés. Face aux incertitudes notamment climatiques, mais également économiques et politiques, la transdisciplinarité qui fonde l’agroécologie peut s’élargir à d’autres compétences notamment issues des approches sensibles du vivant, comme le pratiquent quelques artistes.
Je souhaiterai donc parler dans cette chronique du lien sensible au vivant. J’invite nos auditeurs et auditrices à approfondir certains points à l’aide des ressources en ligne sur le site d’Euradio pour cette chronique.
Merci Edith, peut être que vous pourriez définir le terme « approche sensible » ?
L'approche sensible s'appuie sur les sens comme outils de perception de l'expérience de nature. Ce point est critique. Dans les milieux anthropisés il y a une modification profonde de notre connaissance du vivant et de l’environnement et de notre dépendance aux écosystèmes.
Un article scientifique a comparé deux films d’animation de Disney, Blanche Neige diffusé dans les années 1930 et ensuite Raiponce dans les années 2000.
Dans ces deux films, le décor naturel de l’histoire est la forêt.
Les auteurs de l’article ont démontré une baisse du niveau de détails pour représenter la forêt, ce qui illustre la perte de connaissance de ce milieu par le grand public ; qui a besoin de moins de détails de biodiversité dans la représentation.
Si l’extinction de l’expérience de la nature est parfois citée, je préfère le terme de modification de notre état de référence. La conséquence est que nous nous habituons à une plus faible diversité et que cette accoutumance à la simplification est dangeureuse.
Pourquoi cela ?
Les agro écosystèmes diversifiés, c’est à dire complexe, avec des animaux, des espèces pérennes et annuelles permettent le développement d’un autre type de biodiversité, dite associée, qui ensembles soutiennent les fonctions écologiques permettant de réguler la qualité de l’eau et de l’air tout en assurant la fourniture de nourriture et d’énergie et la beauté des paysages dans lesquels nous avons plaisir à nous détendre
Par ailleurs, la diversification permet la résilience des agroécosystèmes face à différents chocs ou perturbations comme les phénomènes climatiques extrêmes ou les modifications des marchés économiques.
Les principes agro-écologiques dont nous avons parlé dans une chronique de la première saison, en s'appuyant sur la réintroduction de la biodiversité sur l'exploitation, questionnent les pratiques conventionnelles1 des professionnels.
La biodiversité réintroduit la complexité et les aléas dans les processus de production, ce qui induit une forte incertitude dans la gestion de l'exploitation. Face à ces bouleversements, l'exploitant doit changer de regard et accepter de passer d'une situation dans laquelle il pense avoir une maîtrise totale à une situation dans laquelle la maîtrise des choses suppose de faire avec et de trouver à gérer des incertitudes croissantes » (Lémery, 2009).
Ces bouleversements conceptuels amènent à se questionner sur les savoirs mobilisables dans ce nouveau contexte.
L’approche sensible qui peut être transcendée par une pratique artistique permet de dépasser les habitudes et facilite le dialogue entre porteurs et porteuses de savoirs.
Est ce que l’approche sensible est utilisée en matière de conception de systèmes de production agroécologiques ?
Oui, mais l’intégration de la pratique artistique reste encore confidentielle dans les sciences dites « dures ». Au mieux de ma connaissance, les pratiques artistiques permettent aux parties prenantes de se placer dans un état d’esprit d’abstraction et de créativité. L’objectivité est ensuite testée à l’aide de protocoles rigoureux.
Est ce cela suppose d’avoir des doubles compétences arts et sciences ?
Non pas du tout, il faut avoir une ouverture d’esprit. Certains module de formation commencent à introduire cette pratique, les premiers retours des étudiants ingénieur sont assez positifs car ils et elles prennent conscience et s’approprie des méthodes de recherche des artistes. Ils et elles prennent confiance en eux, et surtout se rassurent dans l’action.
Certains étudiants de nos filières agricoles sont anxieux perplexes voire en colère vis à vis de la situation actuelle. Intégrer les pratiques artistiques peut apaiser mais aussi permettent d’agir dans un contexte incertain y compris sur le terrain en proposant des solutions très différentes combinant innovation et adaptation aux contraintes environnementales et économiques
Merci Edith Le Cadre et à bientôt
références :
Aurelie Javelle. L’ingénieur agronome et l’enjeu agroécologique. Entre sciences et art.. CRÉATION - CRÉATIVITÉ ET INNOVATION DANS LA FORMATION ET L’ACTIVITÉ D’INGÉNIEUR, réseau Ingénium, Dec 2015, Paris, France. hal-01237903
Entretien réalisé par Laurence Aubron.
