Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur l'actualité bruxelloise et européenne.
Bonjour, Yanis ! Alors, quoi de neuf en Europe ?
Bonjour, eh bien aujourd’hui, et comme depuis mercredi dernier, difficile de passer à côté… du retour prévu, début janvier 2025, de Donald Trump à la Maison Blanche. Une nouvelle présidence Trump, c’est le retour d’une vision plus protectionniste, isolationniste, moins prédictible des Etats-Unis. C’est aussi un programme qui entre sur de nombreux points en conflit avec les objectifs européens, notamment sur le climat, l'industrie ou la défense. Alors oui, les résultats des élections américaines peuvent influencer les orientations stratégiques de l’UE.
Et on voit bien que certaines des positions affichées par Donald Trump préoccupent beaucoup les 27 ?
Absolument. Trump a déjà montré lors de son premier mandat qu'il considère les relations internationales plutôt comme un jeu de transactions dans lequel les États-Unis doivent passer d'abord (si l’on en croit sa campagne) et sans égard aux nombreux défis qui sont aujourd’hui au coeur de très fragiles négociations internationales. Par exemple, il a déjà déclaré vouloir sortir de l’Accord de Paris sur le climat, comme il l'avait fait lors de son premier mandat, ce qui risque de compliquer la coopération environnementale mondiale, cruciale pour tout le monde. Il est certain que si le climato-négationnisme et les slogans à la “Drill, Baby, Drill !” fonctionnent dans les urnes, cela ne va pas inciter les européens récalcitrants à devenir raisonnables et ambitieux dans leur engagement contre le changement climatique.
Et en ce qui concerne l’économie, ce qui attend l’UE ne convainc pas plus les 27 qui se sont réunis en fin de semaine dernière pour un Sommet à Budapest en Hongrie ?
Non en effet, la politique protectionniste de Trump, avec des droits de douane accrus, pourrait par exemple pousser la Chine à rediriger ses excédents industriels vers l'Europe, menaçant des secteurs clés de la transition énergétique comme les panneaux solaires et les batteries. Certains observateurs considèrent que cette pression supplémentaire pourrait susciter des fermetures d’usines et des délocalisations, notamment vers les États-Unis, qui investissent massivement dans l'économie verte grâce au plan Inflation Reduction Act (IRA).
L’UE a donc toutes les raisons de s’intéresser de près à cette élection. Quelles ont été les premières réactions des gouvernements européens à la victoire de Trump ?
Les réactions sont variées. En Europe de l’Ouest, notamment en France et en Allemagne, les dirigeants ont accueilli la nouvelle avec prudence, mais aussi avec une volonté affirmée de maintenir le dialogue transatlantique. Emmanuel Macron a félicité Trump et a rappelé l'importance de la coopération, mais reste soucieux de préserver l’indépendance stratégique de l’Europe, d’après les conclusions du Sommet. En Allemagne, Olaf Scholz a réitéré son engagement pour une Europe plus souveraine, mais l’instabilité politique actuelle, due à l'effondrement de la coalition gouvernementale il y a quelques jours, pourrait compliquer la réponse allemande face aux politiques américaines.
Et qu’en est-il de Viktor Orbán, en Hongrie ?
Orbán est l'un des rares à afficher ouvertement sa satisfaction. Il considère Trump comme un allié potentiel pour défendre une Europe plus nationaliste et conservatrice. Orban a été l'un des premiers à féliciter Trump et compte sur lui pour faire pression sur l'UE dans le dossier ukrainien, auquel lui-même est peu favorable. Dans un message sur X, le leader ultraconservateur autoritaire a salué, dès 8h30 du matin le 6 novembre, le, je cite : “plus grand retour dans l’histoire politique des États-Unis”, avant d’adresser ses félicitations au Président Donald Trump pour son “immense victoire, une victoire dont le monde avait bien besoin ” ajoute-t-il.
Quant à Giorgia Meloni en Italie, comment se positionne-t-elle ?
Meloni se voit déjà l’« interlocutrice naturelle » de Trump au sein de l’UE. Antonio Giordano, membre influent de son parti et secrétaire général du Parti des conservateurs et réformistes européens , estime qu’elle pourrait influencer son homologue d’extrême droite sur des sujets comme l'immigration, à partir du modèle italien de gestion migratoire. Meloni est vue comme une figure modérée comparée à d’autres leaders populistes, mais son lien avec Trump pourrait renforcer son influence dans l’Union Européenne.
Les enjeux sont de taille, donc, pour maintenir une ligne commune et une entente constructive avec Washington à partir du 20 janvier et l’investiture officielle.
Tout à fait : entre le climat, l’énergie et l’économie, avec Trump au pouvoir, l’Europe pourrait perdre un allié crucial sur tous les sujets en fragilisant encore un peu plus la démocratie américaine et la coopération transatlantique. Sous Trump, les relations internationales se teinteront à nouveau d’imprévisibilité, compromettant le soutien américain à l’OTAN et à l’Ukraine. Trump avait déjà déclaré à Ursula Von Der Leyen en 2020, alors qu’il était Président en exercice, que l’OTAN était « morte » et que les États-Unis pourraient se désengager des conflits européens, ce qui incite des pays comme la France à plaider pour une UE de la défense plus ambitieuse.
Et au-delà de ces questions de tactique, n’y a-t-il pas aussi un fort enjeu de symbole, qui se joue, là, sous les yeux des européens ?
Cette victoire n’est pas à prendre à la légère, en effet : la politique intérieure que Trump annonce vouloir mettre en place semble, d’après les conclusions d’une enquête du Washington Post, très largement inspirée du Project 2025, un rapport établi par un think tank ultraconservateur visant à transformer le modèle de gouvernance américain. Ce projet détaille point par point les étapes à suivre pour renforcer et unifier le pouvoir exécutif sous le contrôle du président, au détriment des contre-pouvoirs démocratiques, permettant des décisions plus autoritaires en matière de droits sociaux, environnementaux et d’immigration.
Cette dérive pourrait inspirer les régimes illibéraux au sein de l’UE, ou même normaliser, si ce n’est légitimer, les discours qui remettent en cause l’Etat de droit.
À vous entendre, on dirait que c’est le modèle des démocraties occidentales qui est fragilisé.
Ce n’est pas moi qui le dis ! Donald Ayer, ancien procureur général adjoint sous George W. Bush, livre dans des propos rapportés par The Guardian, que le Projet 2025 “semble contenir toute une série d’idées conçues pour permettre à Trump de fonctionner comme un dictateur ; il veut vraiment détruire toute notion d’Etat de droit dans ce pays”. Et ainsi, comme un rebond, la réélection de Trump pourrait exacerber les tensions internes à l’UE, menacer ses fondements démocratiques, et affaiblir son unité en divisant les soutiens politiques entre les États de l’Ouest (en majorité opposés à Trump) et certains pays d’Europe centrale plus favorables.
Yanis, en conclusion, on sent bien que cette victoire électorale pousse l’Europe à repenser ses stratégies…
Exactement. Entre les défis climatiques, économiques et sécuritaires, l’Europe se retrouve face à un dilemme : doit-elle continuer à s'aligner sur les États-Unis ou au contraire, renforcer son autonomie, son identité, son indépendance ? Si les opinions se construisent déjà, il sera intéressant dans les prochains jours de suivre ce que la nouvelle Commission Européenne aura à dire à ce propos !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.