L'Europe vue de Bruges

La France vacille, l’Europe en apnée

Photo de Chris Molloy sur Pexels La France vacille, l’Europe en apnée
Photo de Chris Molloy sur Pexels

Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Victoria Amelina, des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.

Mathilde Auriol-Delpla a 23 ans, elle est diplômée d’un double master en politiques publiques entre Sciences Po Paris et la Hertie School de Berlin. Elle poursuit aujourd’hui ses études au Collège d’Europe, en politiques et gouvernance européennes. Elle a également travaillé au Cercle des économistes, sur la déclaration finale des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence et s'intéresse tout particulièrement aux dynamiques politiques et économiques européennes. 

La France vacille, l’Europe est en apnée. Voici le sujet que vous avez choisi. Depuis plusieurs mois la France fait face à une crise politique qui ne semble pas vouloir prendre fin.

En effet, la France traverse une crise politique inédite. 

Trois Premiers ministres en moins d’un an, un gouvernement qui tombe en quatorze heures, avant de se relever deux jours plus tard. Un Parlement fracturé, le risque d’un blocage budgétaire, et la menace, encore, d’une nouvelle dissolution qui rapprocherait plus que jamais l’extrême droite des portes de Matignon. La classe politique française, incapable du moindre compromis, confond action et agitation.

Résultat : le pays est paralysé. Et avec lui, c’est une partie de l’Europe qui retient son souffle.

Cette instabilité française semble inquiéter jusqu’à Bruxelles. Concrètement, quel impact cette crise a-t-elle sur l’économie française et sur la zone euro ?

Effectivement l’UE et ses états-membres regardent d’un œil consterné la crise politique actuelle. Et pour cause, la France est la deuxième économie de l'Union européenne, un acteur majeur du G7, la seule puissance nucléaire de l'UE et un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

Or, l’instabilité continue n’est pas sans conséquences. Déjà, les marchés ont réagi : le CAC 40 a perdu 1,4 % en une journée après la chute de Lecornu, l’euro a diminué de -0,55% face au dollar, et le taux des obligations françaises à dix ans a bondi à 3,58 %.

Et sans gouvernement fonctionnel, le projet de loi de finances pour 2026 semble plus que compromis, alors que la France présente une dette de 3 400 milliards d’euro et un déficit de l’ordre de 5,4% du PIB. Or, si la France devient ingouvernable au point de ne plus pouvoir payer ses factures, c’est la zone euro tout entière qui tremblera. L’histoire l’a déjà montré : dans une union monétaire, la fragilité d’un seul devient la vulnérabilité de tous.

La perspective d’un gouvernement d’extrême droite fait d’ailleurs frémir les chancelleries européennes.

Une dissolution anticipée menacerait directement le futur budget européen de 2 000 milliards d’euros.

Les États membres espèrent le conclure avant 2027, de peur que Marine Le Pen ne s’en empare et fasse dérailler les négociations.

Aujourd’hui, l’extrême droite française — RN et Zemmour compris — pèse près de 40 % des intentions de vote en cas de nouvelles dissolutions.

Cette paralysie française affaiblit-elle la capacité d’action de l’Europe — économique, diplomatique et stratégique — à un moment où les équilibres mondiaux se redessinent ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’alarme ouverte à Bruxelles.

L’économie française est jugée assez résiliente pour encaisser la crise et on espère encore un rapide retour à la stabilité politique.

Mais en coulisses, c’est le premier sujet de toutes les conversations.

Car la France semble de moins en moins capable d’accompagner les réformes dont l’Europe a besoin pour rester compétitive face à Washington et Pékin et peine à maintenir le moteur franco-allemand, pourtant essentiel pour assurer la mise en œuvre du rapport Draghi.

Son rôle diplomatique, lui, s’étiole.

Sous Macron, la France avait pris la tête de la “coalition des volontaires” pour soutenir l’Ukraine, plaidé pour une Europe de la défense contre une Russie impérialiste, et tenté de construire une autonomie stratégique face aux géants américains et chinois.

Aujourd’hui, ce leadership s’affaiblit.

La France est absente au moment même où les États-Unis de Trump relancent les prémices d’une guerre commerciale contre Pékin, où la Chine verrouille ses exportations de terres rares et où un fragile accord de cessez-le-feu à Gaza vient d’être signé.

Privée de l’un de ses deux moteurs, l’Europe se retrouve sans voix forte et cohérente.

Est-ce que, derrière cette crise politique, ce n’est pas finalement notre incapacité collective à penser le long terme qui se révèle ?

La France s’épuise à compter ses ambitions minuscules, alors qu’elle est devenue le Gulliver d’un monde peuplé de géants qui redéfinissent les règles d’un jeu auquel nous croyons encore participer. Nous sommes en proie à une irresponsabilité collective, celle d’une classe politique obsédée par 2027, incapable de voir 2030. Et pendant ce temps, l’extrême droite, patiente, observe et attend. Car, dans une démocratie fatiguée, le pouvoir peut finir par tomber entre les mains de celui qui a eu la patience de le ramasser. Et si la France continue de se regarder tomber, c’est l’Europe entière qu’elle entraînera dans sa chute.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.