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Le 10 octobre 2023, la Cour des comptes de l’Union européenne a publié un rapport sur l’effectivité des actions de l’UE pour les droits des personnes en situation de handicap. Et le bilan semble n’être pas très bon…
Effectivement, le constat n’est pas glorieux. Le rapport souligne des avancées pour les droits des personnes grâce à la stratégie 2021-2030 de la Commission sur le sujet, notamment grâce à une reconnaissance européenne des personnes en situation de handicap avec une carte européenne du handicap. Mais il souligne surtout, premièrement, que les mesures n’ont pas été accompagnées de financements adéquats, deuxièmement, qu’il y a un manque flagrant de statistiques sur le sujet et, enfin, que la Commission européenne n’a pas vérifié la compatibilité de ses législations avec la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes en situation de handicap – Convention que l’Union Européenne a ratifiée en 2011. Et cela alors que plus d’un quart des personnes âgées de plus 16 ans dans l’Union Européenne sont en situation de handicap.
Mais du coup, que contient cette stratégie 2021-20230 exactement ?
Je dirai qu’il y a 4 initiatives phares. D’abord, la carte européenne du handicap mentionnée plus tôt et qui sera négociée entre le Conseil et le Parlement début 2024. Ensuite AccessibleEU, une base de bonnes pratiques pour l’accessibilité à destination des professionnels. En troisième, le paquet emploi, constitué de 6 mesures pour améliorer les perspectives d’emploi et les conditions de travail des personnes handicapées. Enfin, la création d’un cadre réglementaire pour mesurer la qualité des services d’accompagnement des personnes en situation de handicap. En somme, une stratégie non seulement limitée par les aspects qu’elle aborde mais aussi par son effectivité.
Au-delà de cette simple stratégie, est-ce que l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap représente un enjeu plus large pour l’Union Européenne ?
Oui, c’est aussi un enjeu juridique à cause de la Convention des Nations Unies qui a deux conséquences.
Premièrement, il y a le risque d’une décision de la CJUE qui forcerait la main des institutions avec une interprétation plus stricte de la convention que celle qui est faite actuellement. Par exemple, la Commission européenne a une interprétation permissive des ateliers protégés, lieux comme les ESAT en France et Wallonie, en publiant par exemple prochainement des bonnes pratiques pour les prestataires de services. Mais le Comité des Nations Unies en charge des droits des personnes en situation de handicap en fait une interprétation très différente à travers ses observations générales en les déclarant comme ségrégant dès lors que le salaire minimum n’est pas atteint ou que le contrat liant les personnes n’est pas un contrat de travail.
Deuxièmement, au titre de l’article 33 de cette même convention, l’Union européenne doit montrer régulièrement ses avancements dans l’implémentation de ces droits et se soumettre à un examen périodique réalisé par le Comité des nations Unies. C’est notamment le cas concernant la désinstitutionalisation, soit l’arrêt programmé des structures isolantes d’accompagnement des personnes en situation de handicap les empêchant de bénéficier de leurs droits et d’être intégré pleinement dans la société. Or le dernier rapport du Comité datant de 2015 notait déjà que l’UE n’a toujours pas vérifié la compatibilité de sa législation interne et des projets qu’elle finance avec la convention…
Beaucoup de pain sur la planche en perspective donc…
Oui, d’autant plus que les choses commencent à bouger puisque la société civile et les eurodéputés se mobilisent de plus en plus sur ce sujet. En 2018, 4 associations françaises et 2 associations européennes ont engagé une procédure de réclamation collective auprès du Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe contre la France, aboutissant à la reconnaissance des atteintes de l’Etat français envers les droits sociaux des personnes en situation de handicap en 2023. Au niveau du Parlement Européen, le rapport de l’Eurodéputée Anne-Sophie Pelletier adopté en 2022 appelle à une action plus soutenue de la Commission pour la désinstitutionalisation et les droits des personnes et un arrêt des blocages du Conseil sur ces sujets.
Par Merwan Paris.