Eness Ciobanu est Assistant académique au sein du département Politiques et gouvernance européennes (POL) au Collège d’Europe.
Entre notre dernière conversation et aujourd’hui, la Commission européenne a publié son rapport annuel sur l’élargissement de l’Union, annonçant qu’elle recommandait l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie. S’agit-il d’une urgence pour l’Union de réformer ces trois domaines ?
Depuis une dizaine d’année il existe une tendance à parler de l’Union dans le cadre des crises et des urgences. Cependant, l’élargissement est un domaine qui permet justement d’avoir une perspective de moyen et long terme sans brûler des étapes. L’écueil est évidemment l’abus du temps long qui rendrait le processus léthargique.
Concernant l’Ukraine et de la Moldavie, même si la Commission a publié sa recommandation, en décembre les Etats membres devront décider s’ils suivent cette recommandation ou non. Puis, la négociation d’une trentaine de chapitres thématiques peut prendre des années.
Pendant ce temps, l’Union doit justement réaliser un effort double : avancer les négociations d’adhésion et se réformer elle-même pour être prête à intégrer ces Etats.
Vous avez mentionné que l’état de droit est un des domaines qui relève des difficultés au sein de l’Union. Quelle est la situation actuelle de l’état de droit au sein de l’Union ?
L’état de droit est la pierre angulaire de notre système européen car il s’agit d’un ordre fondé sur des règles. L’état de droit peut se décliner dans quatre domaines qui affectent la vie de tous les jours des citoyens européens : l’indépendance et l’efficience de la justice, la lutte contre la corruption, la protection de la liberté et le pluralisme des médias et finalement l’équilibre des pouvoirs des institutions.
Les rapports de l’état de droit que la Commission publie chaque année montrent qu’il existe un risque de retour en arrière dans tous les Etats membres.
Pourquoi cela est-ce important dans le cadre de l’élargissement ?
La difficulté principale réside dans le fait que les défaillances concernant l’état de droit dans un Etat membre affectent les autres ainsi que l’Union. De ce fait, l’Union devrait pouvoir corriger ces dérives automatiquement.
Actuellement, il existe deux outils légaux pour prévenir ou corriger ces dérives, l’article 7 et le mécanisme de conditionnalité budgétaire. Le premier est difficilement applicable en raison de la règle de l’unanimité et le second à un champ d’application très restreint.
L’Union doit améliorer ces mécanismes avant l’élargissement pour pouvoir protéger l’état de droit face à toute dérive et éviter que les Etats candidats, une fois admis arrêtent les réformes.
Finalement vous avez mentionné l’impact que l’élargissement aurait sur les institutions européennes. Quels sont les principaux éléments à prendre en compte ?
Il existe deux éléments : la taille de la Commission européenne et la méthode de prise de décision au Conseil.
Actuellement, la Commission compte un commissaire par Etat membre ce qui accroit artificiellement la taille de la Commission. Certains commissaires ont des portefeuilles bien moins importants politiquement que d’autres.
Dans une Europe élargie ce problème serait accentué. L’Allemagne s’est déjà montrée favorable à ce que le nombre de Commissaires soit plus réduit par rapport au nombre d’Etats membres visant ainsi un objectif de cohérence de l’action publique européenne. La représentativité nationale au sein du Collège des Commissaires pourrait être envisagée à travers un système de rotation.
Une autre possibilité est celle de créer une hiérarchie, mais cela remettrait en cause le principe de collégialité.
Si la Commission semble disposer de plusieurs options possibles et d’une certaine ouverture des Etats membres, qu’en est-il du Conseil ?
Au Conseil, la question concerne surtout l’utilisation de l’unanimité ou de la majorité qualifiée, qui n’est pas une majorité simple. L’unanimité est encore utilisée dans certains domaines comme le budget européen, la fiscalité ou encore les affaires étrangères.
Si ce système a fait ses preuves pendant de longues années, l’Union a besoin d’une méthode plus agile pour prendre ses décisions, d’autant plus dans la perspective de l’élargissement.
Le rapport franco-allemand conseille de généraliser l’utilisation de la majorité qualifiée à tous les domaines couverts par l’unanimité mais les Etats sont peu enclins à renoncer à leur pouvoir de veto malgré une certaine ouverture.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Eness Ciobanu est diplômé de la promotion David Sassoli 2022 – 2023 du Collège d’Europe. Il a précédemment étudié à Sciences Po Paris où il a suivi une formation pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales avec une spécialisation sur l’Union européenne et les pays d’Europe centrale et orientale en Licence, puis une formation en Affaires européennes et administration publique en Master. Durant ses études, il a travaillé au Sénat de Roumanie au sein du Service des affaires européennes pendant la présidence roumaine de l’UE (2019), au Conseil de l’Union européenne au sein de la Direction Générale Politique institutionnelle et générale et à l’Assemblée nationale au Secrétariat de la Commission des affaires européennes pendant la Présidence française de l’UE.