Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
C’est de danse contemporaine dont vous voulez nous parler et d’un genre plutôt trépidant.
En ce samedi glacial de mars, au Théâtre National de Bretagne, à Rennes, la compagnie Hofesh Schechter nous a réchauffés dès la première minute. En effet, entraîné par un danseur, le public de la salle Vilar bondée, s’embrasa en hurlant Hip Hip Hip Hourrah ! Hip Hip Hip Hourrah ! Hip Hip Hip Hourrah ! Et d’un coup sur la musique de french cancan d’Offenbach survoltée, surgit un groupe d’une dizaine de danseur·euses déchaîné·es, surexcité·es, s’attrapant les un·es, les autres, se courant après, se bousculant, emporté·es par un porte-drapeau, du type révolutionnaire. Habillé·es de pantalons ou de jupons beige et blanc, de gilets, portant foulards ou ceintures, un monsieur Loyal en tunique rouge orchestre cette troupe énervée.
Vous parlez même d’une bousculade, ce n’est pas de la danse ?
Tout d’abord, on a envie de bouger avec eux, au son de la musique amplifiée, les bras, les jambes, on a envie de gesticuler comme eux. On se sent capable de participer à ce grand défoulement païen qui est pourtant complètement orchestré. Très vite, malaise, ce n’est pas une fête, ils ne sont pas là pour s’amuser, s’ils s’attrapent, c’est pour s’entretuer ! Et horreur, les voilà qui mettent en scène toutes sortes de types de meurtres : égorgements, tirs dans la tête, poitrines transpercées, pendaisons, corps découpés. Avec un bel ensemble, par deux, trois ou quatre, les danseur·euses assassinent avec grands sourires de carnaval et gambades de clowns fous, mêlant des pas de danse folklorique des Balkans. C’est une boucherie, c’est une tuerie de masse, c’est la guerre, c’est la violence à l’état pur, jouée, dansée sur scène où se régalent les bourreaux.
Ah je comprends mieux pourquoi le titre de Double murder !
Le spectacle comporte deux parties, la première la plus longue dure 1 heure et s’intitule Clowns. Vous avez compris que le spectateur est embarqué dans cette folle sarabande qui le fascine, l’attrait pour la sauvagerie est palpable. Certains diront d’ailleurs après le spectacle qu’ils ont préféré cette première partie. L’énergie des danseurs, la vitalité déployée, le rythme permanent de la musique, saccadé qui surligne tous les gestes, semblent leur faire oblitérer que cette force de vie est au service de la mort. Nous sommes fascinés par la violence, et notre goût pour les séries policières et les faits divers ne le dément pas. La violence bien emballée est perçue comme une distraction. Le chorégraphe israélien Hofesh Schechter le sait, lui qui vient d’un pays où la violence se conjugue au passé pour l’avoir subie et au présent comme acteur, il ajoute à la suite de ce déchaînement un contrepoint, comme pour calmer le jeu et ne pas nous laisser dans cet état de fébrilité.
C’est quoi ce contrepoint, de la douceur ?
La fragilité, la douceur, la compassion, c’est ce dont traite la seconde partie, intitulée The fix, beaucoup plus courte. Il ne reste que 7 danseur·euses sur scène. La musique s’est calmée, ce sont des chants choraux presque hypnotiques. Le groupe se soutient, vacillant comme sur un radeau, éclairé par une lumière rouge. Si certain·es tombent, ils·elles ne sont pas laissé·es à terre, mais repris dans les bras et cette fois, non pas pour les égorger, mais pour les consoler, les réparer. Le porte-drapeau s’est transformé en guitare et le groupe danse autour librement. Puis il médite. C’est un corps collectif. Quand l’un d’eux semble mourir, secoué de spasmes, les autres le soutiennent pour lui porter secours.
Comment se termine donc ce spectacle très contrasté ?
Le mourant se lève et requinqué part dans la salle où il prend dans ses bras chaque spectateur·rice pour un long hug, une accolade consolatrice. Placée au premier rang, j’y ai droit avec la transpiration du danseur en plus ! Chacun·e des danseur·euses consolera donc les spectateur·rices puis le groupe de retour sur scène enverra force baisers et mains en forme de cœur au public. Une amie dénoncera un final un peu trop new age à son goût, cela paraît naïf et utopique. Mais pourquoi pas ? Cela me rappelle le slogan anti-guerre issu de la contre-culture des années 1960 aux États-Unis : make love, not war, en réaction à la guerre du Vietnam. Donc faites l’amour, pas la guerre.
La tournée de la Hofesh Schechter Company pour le spectacle Double Murder (Clowns – The Fix) passe le Théâtre de Lorient les 14 et 15 mars, les 3 et 4 mai à la Comédie de Clermont Ferrand, mais aussi en Allemagne, à Belgrade, etc.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.