Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
D’un périple en Normandie impressionniste, vous nous rapportez quelques petits bijoux, dont la visite de l’exposition consacrée à Zao Wou Ki, que vous intitulez, le Souffle c’est la vie, racontez- nous
Le Souffle, c’est la vie, au-delà du slogan des campagnes anti-tabagiques, c’est littéralement ce qu’on ressent face aux œuvres de l’artiste d’origine chinoise Zao Wou Ki. C’est comme une inspiration intense trop grande pour être contenue par nos petits poumons et qui nous déborde physiquement et spirituellement. Le Qi, en chinois, c’est le Souffle vital, celui qui génère et anime l’univers. Et le peintre Zao Wou Ki lui donne corps par le mouvement, les formes, l’éclosion et la fusion des couleurs. C’est magique et ça nous régénère.
Et cette exposition, intitulée en fait « Zao Wou Ki. Les allées d’un autre monde », décline tous les talents et les techniques employées par l’artiste depuis les peintures à l’huile, les encres, les aquarelles, les lithographies, les livres illustrés, les porcelaines, les stèles, jusqu’à la tapisserie et l’art monumental. C’est un feu d’artifice de beauté et de savoir-faire.
Au centre de l’exposition, un magistral triptyque de 2 m de haut par 5 m de long, « Hommage à Claude Monet » réalisé en 1991, rappelle la célébration des 150 ans de l’Impressionnisme, cette année.
Que ce soit Zao Wou Ki ou David Hockney dans un style complètement différent qu’on évoquera la semaine prochaine, ces deux artistes sont de grands admirateurs de Monet, qui a libéré la peinture de ses carcans idéologiques.
Et quelles sont les recherches plastiques de l’artiste Zao Wou Ki ?
Une petite toile, juste nommée par sa date d’achèvement, 040350, pratique utilisée par l’artiste pour que le regardeur soit libéré de toute interprétation, ouvre l’exposition. Ce sera la seule figure de l’exposition, celui d’une jeune fille frêle nue debout aux membres allongés. Le choix des œuvres s’est focalisé sur la période allant de 1980 à 2010. Et depuis la fin des années 50, Zao Wou Ki s’est immergé dans l’abstraction dite lyrique et les grands formats.
Et pour saisir le sens de l’art de Zao Wou Ki, il y a des citations sur les murs, entre autres tirées du livre « Zao Wou Ki. Autoportrait » écrit avec son épouse, Françoise Marquet, ancienne conservatrice au musée d’art moderne de la Ville de Paris qui gère l’Œuvre de son mari décédé en 2013.
« Comment peindre le vide ? » « Légèreté de l’espace, fusion des couleurs, turbulences des formes qui se disputent la place du vide. » Comment représenter le vent ? « Plus que des figures limitées et figées, ce sont les souffles dont toute chose est animée que le peintre entend capter. »
Et encore: « Peindre, peindre, toujours peindre encore peindre, le mieux possible, le vide et le plein le léger et le dense le vivant et le souffle. »
Et comment se traduisent ces questionnements par la peinture ?
Contrairement à Marc Rothko et ses grands aplats rectangulaires colorés que nous avions évoqués lors de son exposition à la Fondation Vuitton, Zao Wou Ki organise des signes sur les vibrations colorées dans des fondus ou des contrastes forts multipliant les variations de nuances. On dirait des vagues sur la toile, s’apaisant ou se renforçant, se dispersant en gouttelettes ou des rochers massifs organiques. On peut y voir des paysages ou des univers infinis.
Avec l’aquarelle toujours de grand format, Zao Wou KI aime la liberté d’« oser de nouvelles couleurs, faire naître de nouveaux espaces, inventer la légèreté. ». Et ses merveilleuses aquarelles bruissent de traits, de taches, de coulures déclinant des flores luxuriantes dans une palette de roses et de verts, de bleus et de gris, de mauves et des « rouges très très forts » comme le peintre les qualifie.
Et puis il y a les encres de Chine, initié depuis l’enfance à cette pratique pour l’apprentissage de la calligraphie, Zao Wou Ki déploie une incroyable liberté sur le blanc du papier jouant avec les condensations et les dilutions de l’encre, sur de grands formats pouvant aller jusqu’à près de 3 m par 2m. De toute beauté.
Et puis encore les somptueuses porcelaines, comme les pierres de ciel, de sable ou de feu aux décors réalisés par lithographie d’une aquarelle…
Et encore la tapisserie sublime et encore l’art monumental superbe… Impossible de tout dire ici.
Et quelques mots sur la vie de cet artiste d’origine chinoise ?
Né en 1920 à Pékin, décédé en 2013 et enterré au cimetière de Montparnasse à Paris, Zao Wou Ki est le descendant d’une longue lignée de lettrés chinois, aisés et cultivés. A 15 ans il fera ses études à l’école des Beaux-arts de Hangzhou, l’une des plus exigeantes où le jeune Wou Ki y étudie l’art chinois traditionnel et la peinture occidentale. Il accusera le premier d’être sclérosé et la seconde d’être académique. Arrivé à l’âge de 28 ans, à Paris, haut lieu bouillonnant de tous les arts et de tout ce qui compte d’artistes, écrivains, intellectuels, etc, il découvre aussi les œuvres de Paul Klee. « Abstraire ma peinture de l’influence de la réalité » ce sera son credo. Bercé par la poésie, genre littéraire majeur de la civilisation chinoise dont il connaît par cœur des poèmes des époques Tang et Song, il sera conforté par le poète Henri Michaux qui écrit sur huit de ses lithographies en 1950.
Derniers jours de l’exposition dédiée à Zao Wou Ki jusqu’au 26 mai aux Franciscaines à Deauville, sinon à lire et regarder le beau catalogue au prix modique de 25 €.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron