Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Après Zao Wou Ki, vous nous rapportez de votre balade en Normandie, ce que vous nommez les impressions au soleil normand de David Hockney, racontez-nous
Vous l’avez compris, c’est un joke avec le titre « Impression, soleil levant » de Claude Monet de 1874 qui a donné son nom au courant impressionniste.
« David Hockney Normandism », c’est le titre exact de cette exposition au musée des Beaux-arts de Rouen et on en sort réjoui malgré un goût de trop peu. C’est l’autoportrait de l’artiste qui nous accueille, dans son costume à carreaux marron et rouges, sa chemise blanche et sa cravate fine, jaune, sa casquette grise et son visage au teint fleuri portant des lunettes jaune pâle, la main gauche relevée tenant le pinceau, une cigarette dans la main droite. Daté du 22 novembre 2021, David Hockney est alors âgé de 83 ans, ce « self portrait » donne le style, du genre naïf, sans volonté réaliste, sans illusion perspective, un regard serein posé sur nous et le désir d’enregistrer par la peinture ce qu’il voit.
« Peins ce qui compte pour toi » lui disait un de ces professeurs au Royal College of Art à Londres. Ce que retiendra le jeune David qui déclarera : « Je peins ce que j’ai envie de peindre, où j’en ai envie et quand j’en ai envie »
Et qu’a-t-il envie de peindre, David Hockney ?
À Rouen une première salle présente des portraits d’amis et des familiers de la maison à pans de bois qu’il habite dans le pays d’Auge depuis 2019. Comme le jardinier sur son tracteur « Vincent Bocage with his tractor » daté du 1er février 2022, ou son médecin, ou la cuisinière. Ça paraît tout simple, mal fait, mal peint, mal proportionné et pourtant ce sont des portraits chaleureux, bienveillants réalisés par un grand enfant toujours émerveillé par l’autre. C’est vrai qu’ils nous touchent ces portraits parce qu’ils sont immédiats, tracés à grands coups de pinceaux à l’acrylique sur toile, privilégié à la peinture à l’huile, plus chronophage.
Le temps, présent, ici et maintenant, c’est aussi le temps des saisons, que le peintre se plaît à enregistrer depuis les premiers bourgeons jusqu‘aux premières fleurs. Une dizaine de paysages récents peints en Normandie. Ça pète de couleurs, les rouges et les verts quasi fluorescents des premières feuilles ou des premiers brins d’herbe, et les fleurs blanches ou roses des cerisiers, des pommiers, des poiriers, des pruniers, des aubépines ou encore des prunelliers.
Une superbe peinture, toujours à l’acrylique sur toile, intitulée « Giverny by DH, 2023 » raconte la fascination de Hockney pour Claude Monet. C’est une vue de l’étang aux nymphéas du jardin de Giverny, reflétant les arbres et les buissons, le petit pont de bois et le ciel bleu grisâtre nuageux de début de printemps. Les verts sont pétants mis en valeur par des rouges vifs. Cette peinture a été réalisée d’après un dessin à l’iPad effectué lors d’une visite à Giverny.
L’iPad, c’est donc un outil utilisé par l’artiste David Hockney, âgé de 86 ans aujourd’hui ?
Oui comme quoi, l’intérêt pour les techniques contemporaines relève surtout de l’envie et de la curiosité et n’a pas forcément à voir avec l’âge ! Si David Hockney pratique le dessin en plein air à la manière de l’école de Barbizon, il s’est mis à noter quotidiennement sur son iPad, notamment lors du confinement 2020, les changements et transformations de la nature qu’il avait sous les yeux. David Hockney a utilisé l’iPad dès son apparition en 2010 à la manière d’un carnet de croquis. Il nous dit : « On pouvait voir le dessin se refaire en appuyant sur une touche. Je ne m’étais jamais vu dessiner auparavant et la chose a paru fasciner aussi tous ceux à qui je l’ai montrée. La seule expérience antérieure semblable était celle où l’on voyait Picasso dessiner sur du verre pour un film (Le mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, 1955).
Il y a donc aussi dans l’exposition des écrans montrant le travail de peintre de l’artiste, couche après couche, ajoutant les détails en utilisant toutes les formes mises à disposition par la machine (traits, crans, pointillés, etc). Et l’iPad devient magique quand il permet au peintre d’enregistrer les variations des paysages sous la lune.
Ainsi une salle plongée dans l’obscurité intitulée « The moon room » expose une quinzaine de peintures à l’iPad imprimées sur papier et montées sur aluminium. Chacune est datée du jour où elle a été peinte, ici durant l’année 2020. Depuis son jardin ou sa chambre à coucher, ce sont des paysages nocturnes éclairés par la pleine lune et l’artiste y décline des assemblages de bleus, verts, noirs, bruns grisés et carmins rabattus, ocres et blancs éclatants traités en camaïeux ou en contrastes.
C’est envoûtant.
Que pouvez-vous nous dire de cet artiste David Hockney ?
Difficile de résumer une vie aussi dense et riche que celle de David Hockney né en 1938 à Bradford en Angleterre. Son œuvre, vous l’avez compris, est essentiellement autobiographique et figurative. Depuis 1961 aux Etats-Unis, où il découvre d’abord la liberté de vivre son homosexualité à l’âge de 23.ans. C’est le rêve américain et son hédonisme à travers la série des « piscines », puis celle des « Canyon paintings » dans les années 70 où l’œil n’est jamais statique puisque le promeneur est un automobiliste et donc jamais enfermé dans un point de vue unique. Ce sont des portraits et des paysages avec une boulimie de peindre inextinguible et une expérimentation de tous les possibles de la peinture toujours aussi vivace aujourd’hui.
À voir jusqu’au 22 septembre, « David Hockney Normandism » au Musée des Beaux-arts de Rouen
Un entretien réalisé par Laurence Aubron