Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Il était une fois deux frères, vous nous parlez d’ un conte ?
Un conte qui nous emmène voyager dans la peinture. Il était une fois deux frères, artistes tous les deux, nés dans une famille d’artistes, le père et la mère, à Neuchâtel en Suisse et ces deux-là ont posé leurs bagages à Nantes, le temps d’une escale printanière pour nous plonger dans leurs univers oniriques, surréalistes, en tout cas décalés. Léopold et Till Rabus, ce sont leurs noms sont des fous de peinture et ils en donnent à voir avec générosité : une centaine d’œuvres qu’ils ont orchestrée à deux pour nous offrir ce voyage en peinture.
Où se passe ce voyage en peinture ?
A la HAB Galerie, sur l’Ile de Nantes, dans ces locaux dits du hangar à bananes, réhabilités par la Ville, qui nous offre chaque année, une grande exposition dans le cadre du VAN, Le Voyage à Nantes.
Deux frères donc qui peignent à quatre mains ?
Pas du tout. Comme chacun de leurs parents, chacun a son propre style, qu’on identifie après quelque temps. Léopold joue davantage avec le médium peinture à l’huile et toutes les techniques afférentes, recouvrements, coulures, brossages, glacis et il imagine des débuts de scenarii, où des personnages réalistes sont figés dans une action. Tandis que le style de Till relève de l’hyperréalisme ou photoréalisme avec une dose d’humour en plus où fétiches et monstres sont bricolés avec une technique imparable.
Que voit-on dans cette exposition orchestrée donc par deux artistes frères ?
On y voit en majorité des moyens et grands formats, jusqu’à 3m x 4m, agencés dans un parcours confrontant ou associant les deux frères : depuis les inspirations rurales avec les poules de Léopold ou l’épouvantail dans son champ de Till, aux natures mortes acrobatiques, ou aux créatures d’appartement jusqu’à l’espace coquin où animaux et légumes jouent la parodie de l’amour, attention rien de licencieux, on est toujours dans le jeu. Il y a également des tout petits formats délicieux dans un salon, comme les oiseaux peints par Léopold Rabus, chacun sur sa branche, canaris, toucans, inséparables, perroquets, toutes sortes d’espèces colorées qui ont pour particularité d’avoir la tête redoublée, ce qu’on ne voit pas au premier regard, double bec et œil double. Ce sont les oiseaux, non pas à la Hitchcock, sombres, menaçants, et agressifs, mais les gentils comme ceux qui nous accueillent dans l’entrée perchés sur un arbre dans la peinture intitulée « Les propriétés des choses ».
« Les propriétés des choses » alors qu’il s’agit d’oiseaux ?
J’ai eu la même réflexion et me suis donc penchée sur ce titre incongru. Et je suis tombée sur une encyclopédie du XIVème siècle, intitulée « Le livre des Propriétés des choses », une somme de connaissances sur la nature et les sciences qui rencontra un très grand succès à un moment nous dit-on où le désir de comprendre l’univers se répand au sein d’un public de plus en plus large. Les images montrent de somptueuses miniatures en planches classifiant tout un bestiaire connu ou inventé. Ainsi par exemple, apparaissent des animaux complètement farfelus tels que des licornes, des dragons et d’autres créatures légendaires comme la manticore ayant un corps de lion, un visage d’homme et une queue de scorpion. Bref cela m’a fait penser à l’ancêtre des musées, notamment des musées d’histoire naturelle, le cabinet de curiosités apparu au XVIème siècle à la Renaissance qui accumulait objets réels et objets fabriqués dans un souci de rendre compte du monde qui s’ouvrait alors.
Je me retrouvais donc dans un cabinet de curiosités peintes sur toile. Ce qui donnait une clé possible à ce que l’exposition donnait à voir.
Et du côté de Till Rabus, l’hyperréaliste donc, que peint-il ?
Au-delà de sa dextérité bluffante, son registre est plutôt humoristique, ainsi ses natures mortes acrobatiques où il représente une tablette en bois, sur laquelle une oie repose sur une patte en équilibre sur une poire, elle-même en équilibre sur un feutre tyrolien, à côté d’une grive, tête en bas, le bec posé sur un couteau dressé sur la pointe de sa lame, et d’un faisan en équilibre sur une patte sur un cor de chasse. Ou bien le tableau intitulé « L’orgie », qui symbolise l’acte d’amour avec des couples de pigeons, de chiens, de homards ou des références explicites au sexe ou au corps féminin ou masculin avec des saucisses, des cuisses de poulet s’ouvrant sur un abricot fendu, des melons et une pêche sur un présentoir à fruits, etc. L’artiste s’amuse et ça marche. Les visiteurs de l’exposition apprécient ce savoir-faire et ces historiettes drolatiques.
Une exposition à voir par tous les publics ?
Bien sûr, une exposition sympathique et familiale, où chacun trouvera son compte dans les univers des deux complices et pourra jouer à trouver le détail incongru dans les peintures de Léopold, traité en mode hyperréaliste, comme pour faire la nique à son frère Till, je parie !
L’exposition Une ébauche lente à venir, jusqu’au 8 mai à la HAB Galerie, entrée libre et gratuite sans réservation, ouverte de 13h30 à 19h00 les mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche mais aussi le lundi de Pâques et le lundi 8 mai.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.