Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
C’est d’un livre dont vous souhaitez nous parler aujourd’hui, il ne s’agit ni d’un roman, ni d’un polar, ni d’un essai, quel est donc cet objet ?
Il s’agit d’un peu tout cela, une sorte d’enquête subtile, menée à pas de sioux, pour en « savoir un petit peu plus, …, ressaisir une féminité blessée » selon les mots de l’auteur, Damien Robin, sur une jeune écrivaine, comme on dit pudiquement trop tôt disparue. Elle s’appelait Lisa Bresner et s’est donnée la mort une nuit de juillet 2007 à Nantes avant son trente-sixième anniversaire. « Traits de lumière », c’est le titre principal du livre, ce sont les chatoiements et les miroitements de la lumière sur la Loire, en ce bel été 2020, post-confinement, qui confortent notre auteur dans sa quête. Il en est sûr, le secret de Lisa Bresner repose quelque part là, tout au bord du fleuve, à Nantes. Lui ne l’avait pas encore lue et jamais rencontrée. Je le cite : « On lit toujours un livre, un vrai livre, on découvre toujours une œuvre, une vraie œuvre, au bon moment, quand le temps est venu ».
Et le temps était venu pour Damien Robin.
Pourquoi Damien Robin s’est-il intéressé à Lisa Bresner ?
Damien Robin est né en 1977 dans la région nantaise, à Chateaubriant, il est quasi de la même génération que Lisa Bresner. De retour à Nantes après un séjour au Bénin de 2017 à 2019, qui lui a inspiré un premier roman intitulé « Grand souffle », il s’est interrogé sur cette Lisa Bresner qui avait donné son nom à une médiathèque de Nantes en 2013. Il imaginait une écrivaine du début 20ème sans doute, comme Pascal Quignard, premier lecteur de Lisa Bresner, la pensait très âgée avant de rencontrer cette enfant prodige de 20 ans. Son premier roman « Le sculpteur de femmes » sera édité chez Gallimard en 1992.
Et puis, il y avait aussi l’intérêt pour la Chine et le Japon. Une enseignante lui avait conseillé d’étudier le chinois au collège, Lisa Bresner fut la première élève non asiatique d’origine à passer le baccalauréat avec le chinois en 1ère langue ! Puis ce fut au tour du japonais !
Pour Damien Robin, une connexion aussi très forte s’est faite naturellement avec un certain esprit d’enfance présent dans les albums jeunesse de Lisa Bresner, essentiellement inspirés par les mondes et les cultures de l’Asie, petits bijoux produits par les Editions Memo à Nantes.
Qui était donc Lisa Bresner ?
Lisa Bresner, une fulgurance », c’est le sous-titre du livre de Damien Robin qui écrit : « Fulgurante, ce qualificatif revenait sans cesse. Du latin fulgur, foudre, fulgurare, « faire des éclairs ». Une jeune écrivaine très douée, ordonnatrice de drôles de coups de foudre ? … Sa prose est électrisante à un point rare ».
Lisa Bresner a écrit trente-trois livres et réalisé deux courts-métrages dans sa vie fulgurante. Dont l’un très court en 2005, intitulé « Mes autres … » avec Jeanne Moreau, rien de moins, femme vieillissante se retournant pour redevenir l’enfant qu’elle a été et ainsi tout retrouver de sa vie. L’autre tourné en 2004, s’appelle Misako. Au bord du suicide, une Japonaise d'une vingtaine d'années fait un vœu d'amour à Nantes. Elle doit traverser 5 ponts sans parler pour retrouver le fantôme d'India Song...
La mélancolie, comme une puissance active, précise Damien Robin, traverse l’œuvre de Lisa Bresner. Plutôt que l’India song de Marguerite Duras et sa mélancolie définitive, il la préfèrerait du côté de Jacques Rivette et de ses actrices épanouies jouant des femmes libres, comme dans le film « Céline et Julie vont en bateau ».
C’est à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) dans l’Abbaye d’Ardenne près de Caen que Damien Robin s’immerge dans les carnets et autres archives de Lisa Bresner, « un fleuve de mots ». Car Lisa Bresner écrivait tout le temps « Pas un jour sans une ligne » mais aussi disait-elle « Quand je n’écris pas, je peins. Quand je ne peins pas, j’écris ». Elle était aussi calligraphe et dessinatrice.
Comment rendre compte de la question biographique, sans tomber dans l’impudeur, en dehors des points d’accroche comme Etiemble, écrivain spécialiste de la Chine, ou Jacques Pimpaneau, lui aussi sinologue, il y a la naissance de son fils et l’assassinat horrible de son père en 1998, dont l’écrivaine dira qu’une phrase relie tous ses projets depuis cet assassinat.
Pourquoi faut-il lire aujourd’hui Lisa Bresner ?
Damien Robin écrit joliment que Lisa Bresner n’est pas une revenante, mais elle est bien présente dans le monde d’aujourd’hui, grâce à ces livres, elle a fugué jusqu’à nous... Ce qui a fugué c’est cette part d’enfance, cette dimension enfantine de jeu qui fait que d’un coup, dans certains livres se déploie l’intensité, la poésie. L’enfance, c’est toujours au présent. »
À découvrir « Traits de lumière. Lisa Bresner, une fulgurance » de Damien Robin, édité par art3 Plessis éditions à Nantes paru en février 2024 ainsi que tous les livres de Lisa Bresner édités chez Memo, Actes Sud, Albin Michel, Philippe PIcquier.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.