Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
« Suzanne Valadon, un monde à soi ». C’est au musée d’arts de Nantes. Racontez-nous
Oui une belle grande exposition qui se déploie dans le patio du musée, déroulant 120 œuvres de cette artiste, née en 1865 et décédée en 1938.
Une petite fille déclarait à sa maman, elle est moche Suzanne, en se référant au portrait de l’affiche où une dame imposante aux épaules rondes, de profil, vous jette un regard noir cerné, et elle a raison la petite visiteuse, Suzanne Valadon ne fait pas dans l’esthétisme ni dans la retouche.
Elle peint « vrai », mais sans souci de mimétisme ni de perspective.
Mais ce n’est pas elle sur cette affiche.
Suzanne elle, nous accueille avec deux autoportraits troublants. Autoportrait au miroir de 1927, elle a 62 ans, on retrouve le cerne sombre, les couleurs criardes, le décor, qui caractérisent sa facture. Et l’autoportrait aux seins nus, vêtue d’un seul collier de perles, à l’âge de 66 ans, très sobre, le bleu de ses yeux faisant écho au ciel chargé derrière elle. C’est osé, c’est posé, Suzanne Valadon n’a pas froid aux yeux.
Qu’est-ce que peint Suzanne Valadon ? Qu’est-ce qu’on voit ?
Des nus, des nus et des nus, c’est le thème du chœur du patio du musée d’arts et celui de l’exposition : une révolution picturale par le nu. Et pourquoi cette révolution ? Parce qu’à l’époque début 20ème, le nu était réservé aux peintres hommes. Suzanne Valadon se représente nue avec son jeune amant tout aussi dévêtu, de 21 ans son cadet, dans une toile intitulée « Eté » mais aussi « Adam et Eve » en 1909. C’est la première femme du 20ème siècle à avoir fait ça ! dit-on.
Nu au canapé rouge, nu à la draperie blanche, Catherine nue allongée sur une peau de panthère, le modèle tient la place centrale du tableau, des tissus chamarrés ou du papier peint décoratif ou du mobilier aux couleurs vives créent l’espace autour. Le dessin du corps est affirmé, surligné par un cerne noir et la chair peut être rose, bleue, verte, jaune, « celle d’un cadavre » hurlait à l’époque un critique d’art avisé !
Le nu féminin c’est le sujet principal de ses toiles depuis les années 1910. Suzanne Valadon est une fabuleuse dessinatrice et coloriste. Autodidacte certes, mais elle a aussi regardé Matisse et Gauguin, ses contemporains.
Mais l’artiste Suzanne Valadon ne peint-elle que des femmes nues ?
Il y a aussi des femmes habillées, ainsi la puissante Vénus moderne en pyjama à rayures vertes et haut rose sur un édredon fleuri à fond bleu dans une alcôve, femme du peuple, la cigarette à la bouche, c’est une femme émancipée. La peinture est intitulée « La Chambre bleue », acquise par l’État en 1924, un an après sa réalisation, elle consacrera l’artiste.
Sa singularité à Suzanne Valadon, c’est son regard de femme sur les femmes, loin des clichés de l’idéalisation.
Mais vous verrez aussi les dessins superbes et les gravures de ses débuts, des natures mortes vibrantes et des paysages construits, des portraits de ses amis et des œuvres où elle pose comme modèle.
Qui est Suzanne Valadon et d’où vient-elle ?
Marie-Clémentine, future Suzanne, est née dans le Limousin dans une famille pauvre et de père inconnu. Dès l’âge de 11 ans, elle travaille avec sa mère à Paris comme couturière et lingère. À l’âge de 15 ans elle rêvait d’acrobatie dans un cirque mais une chute l’oblige à abandonner. Sur la butte Montmartre peuplée d’ateliers de peintres, chaque semaine a lieu un marché aux modèles, Marie-Clémentine est vite remarquée par sa beauté et deviendra la coqueluche d’artistes célèbres comme Puvis de Chavannes, Renoir, Toulouse Lautrec. Elle posera comme modèle sous le prénom de Maria.
Une vie pas vraiment facile. De la modèle Maria à l’artiste Suzanne, prénom donné par Toulouse Lautrec, des éclairages historiques sont proposés sur la condition de modèle, la formation artistique pensée par et pour les hommes et enfin le parcours de la combattante pour mener une carrière d’artiste au 19ème siècle.
Comment le modèle Maria est-il devenu Suzanne Valadon, l’artiste ?
En fait Suzanne dessine depuis son enfance et les longues heures de pose lui ont permis d’étudier la façon dont travaillent les peintres, elle les observe et apprend ainsi la peinture. À l’âge de 18 ans, elle signe son premier dessin, autoportrait au pastel, Suzanne Valadon, 1883.
C’est une femme qui s’est libérée des carcans sociaux et artistiques pour exister mais que malheureusement on a essentiellement regardé comme la mère du peintre Maurice Utrillo et l’épouse de l’artiste André Utter.
L’exposition « Suzanne Valadon, un monde à soi » à voir jusqu’au 11 février 2024 au musée d’arts de Nantes, puis à Barcelone.