À voir et à goûter

Marcelle Cahn, passante solitaire

Marcelle Cahn, passante solitaire

Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !

Vous êtes allée visiter le Musée des Beaux-arts de Rennes et vous nous ramenez quelques impressions.

Oui, régulièrement je visite ce musée que je trouve absolument charmant et très agréable à parcourir. Juste à la bonne taille sans se sentir submergé par la beauté du monde. Outre ses singularités comme les momies de jeune fille et de chat et un cabinet de curiosités authentique du 18e siècle, le musée propose un fonds de peintures anciennes très riche pour le 17e siècle et les œuvres de pas moins de 700 artistes pour l’art moderne et contemporain. Et depuis 2015, un parcours intitulé « Matrimoine » offre une visite en 18 étapes dans tout le musée, des œuvres dues aux femmes.

Et la dernière exposition est dédiée à une femme artiste : Marcelle Cahn, née en 1895 et décédée en 1981, que j’appelle la passante solitaire. Passante parce qu’elle avouait elle-même que : « D’une manière générale je ne fais que passer, je ne reste pas. » entre ses séjours à Berlin, Paris, Strasbourg, dans différents cours, ateliers ou académies reconnus et animés par des artistes célèbres comme Lovis Corinth, Arraujo, Maurice Denis, Vuillard, Fernand Léger ou Amédée Ozenfant. Et solitaire, car elle reconnaissait également s’être trop isolée et n’avoir pas entretenu ses relations, concluant que : Vivre dans une trop grande solitude est une erreur.

Bref j’ai découvert cette artiste très peu connue à travers ce choix rétrospectif de 50 œuvres qui lui rend hommage depuis les années 20 jusqu’aux années 70.

Et que peignait-elle, Marcelle Cahn ?

L’exposition s’intitule « Marcelle Cahn, en quête d’espace ». Car c’est de cela qu’il s’agit : l’espace. C’est une artiste de l’abstraction géométrique. Jusqu’à la fin de sa vie, à la Fondation Galignani de Neuilly-sur-Seine, maison de retraite pour artistes, elle composera des collages à partir d’enveloppes, de gommettes, de timbres, de cartes postales et même de photographies de ses œuvres abstraites. Comme l’écrivait Michel Seuphor, « elle regardait la vie à travers une raquette de tennis aux cordes tendues horizontales et verticales cerclées d’une courbe ». Et elle s’amusait beaucoup, Marcelle, notamment avec des boîtes de médicaments qu’elle dépliait, y ajoutant des triangles, des carrés et des points colorés. Elle les faisait traduire en plus grand et en panneaux de contreplaqué peint en blanc, fixes ou mobiles, et les appelait : les Spatiaux. C’était dans les années 50/60 à l’heure de la conquête spatiale.

Dans les mêmes années, elle produit les tableaux-reliefs peints sur bois, avec une matière blanche incisée de traits noirs créant des trames géométriques et des ensembles de carrés et rectangles colorés, rythmés par des petits volumes géométriques en bois peint. L’artiste pouvait renverser la trame de la verticale à l’horizontale et faire d’autres propositions d’occupation de ces espaces.

Et pourtant toutes géométriques et abstraites que sont ces œuvres, elles ne manquent pas de sensibilité, dans cette volonté d’ordonnancement du monde.

Et qu’avez-vous préféré dans cette rétrospective ?

Outre les petits collages sur cartes postales ou enveloppes, j’ai beaucoup aimé les peintures de 1925. Après les apprentissages figuratifs, puis cubistes, de qualité également, comme « Femme et voilier », l’élève de Fernand Léger, qui prend position contre l’abstraction totale, et exalte le monde industriel et les machines parce que « le beau est partout », s’en détachera cependant.

C’est sa période dite puriste.

« La rame » de 1926, « Les toits » et « Le pont » de 1927, et « Avion. Forme aviatique » de 1930. Ces quatre peintures à l’huile sur toile se composent de blocs de peinture, d’aplats, de rectangles, triangles et quelques courbes signifiant bâtiments, maisons, avion, bateau. C’est une peinture au cordeau avec une palette de bruns, ocres, bleus, beiges, jaunes et verts pâles, plane et frontale occupant tout l’espace physique et mental de la toile. Il n’y a pas d’issue. C’est construit par l’homme, mais sans l’homme. Marie Luise Syring, critique d’art, en parlant de cette période évoque « une métaphysique de l’être seul ». C’est exactement cela. Et c’est puissant.

Donc une artiste à découvrir au Musée des Beaux-arts de Rennes : « Marcelle Cahn. En quête d’espace » jusqu’au 27 août 2023.

Mais aussi dans de nombreuses collections publiques comme à Cambrai, Cholet, Colmar, Lille, Mouans-Sartoux, etc et bien sûr dans les musées d’art moderne et contemporain de Strasbourg et de Saint Etienne, co-partenaires de cette rétrospective.

Entretien réalisé par Laurence Aubron