À voir et à goûter

Bernard Dejonghe, fusionnel avec la Terre

Bernard Dejonghe, fusionnel avec la Terre

Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !

C’est du côté de Clisson que vous nous entraînez, à la rencontre de Bernard Dejonghe, fusionnel avec la Terre, dîtes-vous !

C’est à trente kilomètres de Nantes, au domaine de la Garenne Lemot à Clisson et ce fut une jolie découverte que celle de l’artiste Bernard Dejonghe, né en 1942 à Chantilly. C’est un artiste qui parcourt, regarde, observe et écoute le monde, pas celui du dessus mais celui du dedans et qui rend compte de ses trouvailles en se coltinant à la matière. C’est ce qui est écrit en exergue de son beau catalogue, intitulé Terra de Lava : de feu, de terre, de verre, de gestes, de voyages, de rencontres, de nature sauvage, et j’ajouterai d’appartenance au monde.

Dès l’entrée, l’exposition s’ouvre sur ses carnets et ses cartes et quelques objets naturels rapportés de ses périples dans les déserts africains et ailleurs. Comme c’est émouvant ces fulgurites, espèces de churros grises, résultats de la rencontre de la foudre avec la terre, ou ces morceaux de verre libyque, formé dans l’espace ? Ou dû à une météorite qui aurait frôlé la terre et fondu des roches au passage ? Vertigineux. Il y a encore des bouts d’obsidienne, qu’on appelle terres de volcans. Vous avez compris, on décolle sérieusement.

Il y a donc de la terre et du verre, mais sous quelles formes ?

« Vingt-cinq formes brèves », c’est ainsi que le sculpteur nomme les objets en verre optique massif d’environ une vingtaine de centimètres de côté. Ils ont le contour d’un alphabet simplifié, pourrait-on dire, et le verre est si pur, qu’il semble liquide, seule apparaît l’enveloppe façonnée au burin. L’artiste insiste sur l’absence de sens de ces œuvres et revendique de « fabriquer du vide, du vide massif ». Il y est question plutôt d’un espace intérieur, d’une autre dimension du genre « Odyssée de l’espace », avec ces mini-mégalithes venus d’on ne sait où. C’est de toute beauté.

Les personnes intéressées par le comment de ce travail auront toutes les réponses à leurs questions en discutant avec les médiateurs, toujours très informés car ils ont bénéficié d’une visite privée avec l’artiste et c’est toujours instructif d’échanger avec eux, que ce soit dans cette exposition ou dans d’autres. Ne jamais hésiter à questionner les médiateurs, c’est leur job et ils sont ravis de parler avec les visiteurs.

Car contrairement à nombre d’artistes actuels qui délèguent la réalisation de leurs pièces à des professionnels, Bernard Dejonghe prend en charge toutes les étapes, du dessin, au moulage, à l’estampage, au séchage des pièces, et toutes les expérimentations avec le verre ou les émaux, la cuisson, etc. C’est un travail long et précis. Le temps en est une donnée très importante.

Y a-t-il d’autres pièces exposées ?

Outre le travail avec le verre, Bernard Dejonghe est céramiste de formation, qu’il a suivie à l’école des métiers d’art de Paris, de 1960 à 1964. Dans le salon central à l’étage, sont rassemblées quelques-unes des 49 stèles en céramique bleue qu’il avait réalisées et installées en un carré de 7 x 7 au sommet de la montagne de L’Arpille qui domine son atelier, puis il les a dispersées. On peut voir le film de cette installation, tentative de dialogue entre la terre et le ciel. Évidemment on regrette de ne pouvoir vivre cette expérience in situ. Il aurait fallu déjà grimper en haut de la montagne, l’art ça se mérite !

Remarquable aussi la série des Sabots du diable, inspirés par la forme d’une tunique inca d’enfant. Ce sont des plaques de grès émaillé rouge accrochées au mur aux coloris absolument somptueux, comme des carapaces d’animaux d’avant l’homme. De même les Areshima, du nom du site néolithique du Ténéré au Niger, mais à la résonnance japonaise, au grand bonheur de l’artiste facétieux. Ce sont de grandes pièces de grès émaillé posées au sol, aux coloris aussi extraordinaires et vues de dessus, on s’immerge dans des isthmes, des vallées, des abers, des coulées qui nous invitent à nous arrêter et à contempler la vraie nature, le monde d’avant l’homme. C’est le gros coup de cœur.

À voir vite jusqu’au 1er octobre, l’exposition « Bernard Dejonghe, Fusions » au Domaine de la Garenne Lemot à Clisson. Entrée libre du mardi au dimanche.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.