À voir et à goûter

Bijoy Jain, architecte, « le souffle c’est la vie »

Patricia Solini Bijoy Jain, architecte, « le souffle c’est la vie »
Patricia Solini

Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !

C’est de la Fondation Cartier à Paris que vous rentrez éblouie par leur dernière exposition intitulée « Bijoy Jain, Studio Mumbai, le souffle de l’architecte », de quoi s’agit-il ?

Il faut vous précipiter si vous ne connaissez pas cette icône de l’architecture parisienne due à Jean Nouvel, inaugurée en 1994. C’est un merveilleux écrin de verre ouvert sur un jardin que la Fondation Cartier va abandonner cette année pour emménager au Louvre des antiquaires. 1200 m2 d’exposition très insuffisants aujourd’hui contre 14000 m2 dans un édifice historique.

Quoi de mieux que ce bâtiment de verre et de métal dominé par la nature et la temporalité des saisons pour accueillir les fondamentaux de Bijoy Jain et son Studio Mumbai c’est-à-dire lumière et ombre, légèreté et gravité, espace et temps.

Bijoy Jain s’est approprié le lieu le laissant totalement ouvert, scandé par des constructions éphémères, du petit mobilier et des sculptures, le tout façonné à la main.

Qui est cet architecte Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai ?

Sans rien savoir de lui ni de l’exposition, d’ailleurs à l’accueil, on nous conseille de ne lire le guide du visiteur qu’à la sortie, nous sommes d’emblée sous le charme de l’ambiance distillée par les matériaux simples utilisés : bambous, ficelles de soie, bois, brique, pierre, terre, terracotta, pigments naturels. On entre dans une zone de silence et de méditation comme un arrêt sur pause bienvenu dans le maelström de la vie parisienne.

C’est l’invitation au voyage proposée à sa douce par Baudelaire : « Là tout n’est qu’ordre et beauté. Luxe, calme et volupté » qui nous vient en tête dès l’entrée.

C’est l’Inde et ses senteurs, ses couleurs, et ses rituels mais c’est le cordeau du charpentier et la cheville, les outils basiques de la construction, qui organisent et géométrisent l’ensemble. La sensorialité des matériaux et la mise en résonance de quelques 400 objets réjouissent le promeneur de ce paysage dessiné par Bijoy Jain

Bijoy Jain est né en 1965 à Mumbai et a étudié l’architecture à l’Université de Washington à Saint-Louis aux Etats-Unis. Il fait ses gammes dans l’atelier de maquettes en bois de l’architecte Richard Maier à Los Angeles et après un séjour à Londres, rentre en Inde et fonde le Studio Mumbai en 1995. Son originalité c’est de s’entourer d’artisans, de techniciens et de dessinateurs. Et son éthique, c’est l’esprit du lieu, le rapport profond de l’homme et la nature, de l’homme et du paysage, palimpseste de notre évolution culturelle.

Comment s’exprime cette préoccupation entre l’homme et la nature dans l’exposition ?

Les fragments architecturaux présentés sont tous réalisés à partir de matériaux vernaculaires, c’est-à-dire trouvés sur place. Les savoir-faire sont ancestraux, comme la gestuelle et la répétition. Les couleurs proviennent des matériaux mêmes. Tentures de terre aux rouges sombres, pigments naturels d’ocres et de bleus teintant les constructions végétales tissées, le gris des sièges taillés dans la pierre.

Un immense tapis de lignes de poudre rouge tracées au cordeau sur fond blanc invite à une promenade au jardin habité par d’autres sculptures. Les murs du sous-sol ont été recouverts de chaux mélangée à de la poussière de brique

Une curieuse et silencieuse assemblée d’animaux de petite taille, tortue, crabe, canard et autres formes blanches rangées au cordeau y contemplent un soleil ocre rouge réalisé avec la trace répétitive d’une corde couverte de pigments. Une architecture fragile de tazia, en bambou dont certains éléments ont été recouverts d’or, occupe tout un mur. Le tazia est un cénotaphe porté sur les épaules lors de processions religieuses normalement confectionné en bambou, cordes de coton, boue de rivière et recouvert de papier sculpté puis jeté à l’eau.

Des sièges en fins bambous et à l’assise en fils de soie tissés accueillent le visiteur. L’élégance encore !

Rien à voir donc avec une exposition classique de travaux d’architecte avec plans et maquettes ?

Certes il y a quelques dessins et petites constructions mais d’une telle délicatesse ! L’ensemble résonne davantage comme une très belle boîte à outils des possibilités de l’architecture selon le Studio Mumbai. Rêverie, horizon, gravité, coutumes, posture, manière, sont les mots cités dans le guide.

Bijoy Jain est un architecte raffiné. Il a aussi invité deux autres artistes : Alev Ebüzziya Siesbye, née en 1938 à Istanbul, vivant à Paris. Elle présente de merveilleuses céramiques blanches, on dirait des souffles de terre, bols ronds à parois minces et à larges bords. L’architecte les a posées sur une table faite de briques miniatures cuites à la main d’une préciosité incroyable.

Et Hu Liu, née en 1982 en Chine où elle réside. De grands dessins monochromes presque noirs réalisés au graphite disent le temps et l’espace, la gestuelle et la répétition, la pluie, le vent, les herbes, les arbres. C’est beau. C’est cathartique.

A voir et à contempler « Bijoy Jain, Studio Mumbai. Le souffle de l’architecte » à la Fondation Cartier, bd Raspail à Paris jusqu’au 21 avril.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.