Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous êtes allée au musée d’arts de Nantes, voir l’exposition Hyper sensible, mais à reculons dîtes-vous ?
Oui péché d’orgueil, sans doute ! L’hyperréalisme, ce n’est franchement pas ma tasse de thé. Il y a des mots comme ça qui rameutent les foules peu enclines à visiter les musées en temps normal, des mots comme Impressionnisme, Matisse, Picasso, et l’hyperréalisme en fait partie. Je dis des mots car les gens ne connaissent pas forcément ce qu’il y a là-dessous, mais ça ne les effraie pas. Ils·elles vont comprendre tout de suite. Même si l’impressionnisme date de 1874, Matisse et Picasso sont nos arrière-grands-pères et l’hyperréalisme a fêté ses 60 ans bien tassés ! Mais bon tant mieux si les visiteur·ses se pressent dans les musées, en espérant qu’ils·elles aient le même engouement pour l’art de leur époque, c’est-à-dire d’aujourd’hui !
Que voit-on dans cette exposition ?
Des corps, des fragments de corps, des corps nus ou habillés, à la même échelle que la nôtre ou plus petite ou plus grande. L’exposition se déploie dans le patio immaculé du musée, mise en scène à travers un dédale de petits et moyens espaces, ouvrant les uns sur les autres par des fenêtres ou des assises, permettant de s’installer plus longuement à regarder les œuvres. Et ce jeu d’ouvertures mêle indistinctement les corps figés et les vivant·es qui les regardent. C’est curieux. Et quelquefois au détour d’une cimaise, un pissenlit ou une touffe de plantain incroyablement réalistes, poussent à l’intérieur du musée. Curieusement aussi, les visiteur·ses passent à côté sans les voir.
Combien d’œuvres et d’artistes sont présentés ?
Une trentaine d’œuvres en tout réalisées par onze sculpteurs traversent l’histoire de l’Hyperréalisme. Ainsi Duane Hanson (né en 1925, décédé en 1996), l’un des pionniers présentera en 1969 un groupe de clochards d’un réalisme effrayant servant son propos de dénonciation sociale. À noter que le musée d’arts de Nantes est la seule collection publique française à posséder une de ses œuvres, dont on ne se lasse pas : Flea Market Lady, de 1990, une marchande assise devant son stand de peintures et de livres d’occasion au marché aux puces. Elle est si absorbée par la lecture d’un magazine, si indifférente aux passant·es qu’on n’oserait pas la déranger. Impressionnante ! Si proche et si lointaine. John DeAndrea, américain lui aussi, né en 1951, s’est fait une spécialité du nu féminin dans la continuité de l’histoire de la sculpture et de la relation au modèle vivant. Sa matière c’est le bronze qu’il peint en trompe-l’œil, rajoutant cheveux ou bracelet. Bluffant !
Et en dehors des « historiques » ?
Si Hanson et DeAndrea pratiquent le moulage sur modèle vivant, Evan Penny, né en Afrique du sud en 1953, utilise, lui depuis 2007, les technologies d’imagerie numérique 3D et des techniques de reproduction 3D associées. Son objectif : Saisir le moment du portrait, faire de la sculpture « photo », réaliste. C’est ainsi que le portrait de face de Camille et celui de dos de Danny, plus grands que nature, et tronqués dans leur épaisseur, semblent naître d’une photographie en 2D pour exister en 3D et sont incroyablement « vrais ».
Sinon contrairement à DeAndrea et ses top modèles, Marc Sijan présente lui une Lady in black qui scotche nos visiteur·ses. C‘est une dame d’un certain âge comme il est écrit pudiquement sur le cartel, en sous-vêtements noirs, grandeur nature, bien campée dans ses chaussures et qui regarde sur le côté. Complètement réaliste, elle nous offre en miroir peut-être un avenir proche ou lointain. Ceci dit, j’aimerais bien avoir ce corps encore solide et musclé quoique vieillissant.
Et du côté des nouvelles générations d’artistes ?
Sans pouvoir les citer tous, Daniel Firman, français né en 1966, parsème l’exposition de ses corps habillés street wear, c’est le sien du reste, qui ont pour particularité de ne jamais montrer leur visage, la tête cachée dans un pull ou dans les bras, face au mur. Ce qui surprend toujours car vrai ? pas vrai ? on s’y tromperait. Un groupe de clones de l’artiste se rassemble au centre du patio dans une figure chorégraphique excentrique, on s’attendrait presque à les voir rouler au sol. Et pourtant ce corps collectif se tient en un seul bloc comme signifiant l’union fait la force.
Finalement vous adhérez à cette exposition ?
Au-delà du j’aime, j’aime pas, il faut essayer de comprendre ses affinités ou ses rejets. Quel intérêt de représenter la réalité ? Tout à l’air de se valoir, pas de style vraiment, un moulage reste un moulage peu importe la technique ou le matériau. Au-delà de la prouesse technique, que reste-il ? Un sentiment de malaise dû au voyeurisme devant les nus, un intérêt certain pour les œuvres habillées comme par hasard ! Mais finalement, regarder les gens regarder de tout près ces corps inanimés, inertes, s’approcher tout contre eux pour voir le grain de peau, les rides, les plissures, les veines, ça donne un côté Science Fiction, comme si on présentait les ancien·nes humain·es aux nouveaux·lles habitant·es d’une nouvelle planète. Curieux !
Hyper sensible. Un regard sur la sculpture hyperréaliste. Au musée d’arts de Nantes jusqu’au 3 septembre 2023. Plus de plein de rendez-vous danse, concert, ateliers, visites, etc autour de l’exposition.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.