Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

Stage de proportionnelle - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

Stage de proportionnelle - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.

Cette semaine, Albrecht Sonntag nous invite à un stage d’observation gratuit intitulé « apprentissage de la proportionnelle » – ça promet !

Oui, c’est gratuit, et ce sera très formateur. Car pendant les travaux de la crise sanitaire, les élections continuent autour de nous, et les jours qui viennent nous réservent de très belles illustrations pour mieux comprendre ce qu’un scrutin proportionnel implique.

L’occasion est tellement belle que je vous propose un stage en deux étapes, afin de rendre justice à ce qui se passe chez nos voisins. Pour commencer, cette semaine, on fait un saut en Allemagne, juste derrière la frontière, dans le Baden-Württemberg et la Rhénanie-Palatinat. Et la semaine prochaine, on file aux Pays-Bas.

Eh bien, je nous inscris bien volontiers dans votre stage, moi-même et nos auditeurs. Même si, chez nous en France, on a bien compris que la proportionnelle, cela ne se fera finalement pas pour les législatives de 2022.

Vous avez raison, bien que l’introduction de la proportionnelle ait figuré parmi le catalogue des réformes envisagées en 2017. Pas la peine donc de revenir, à ce stade, sur les réserves habituelles de la classe politique française, réserves avant tout fondées sur l’expérience historique de l’instabilité gouvernementale de la IVème République et la préférence présumée des Français pour un pouvoir exécutif fort basé sur une majorité incontestable.

Je me permets de vous faire remarquer que la IVème République, soi-disant paralysée par les jeux politiciens des partis a quand même réussi à reconstruire la France et mettre une Communauté européenne sur pied.

Et vous avez encore raison – vous êtes une stagiaire de rêve ! Laissons donc nos objections françaises de côté et regardons de plus près les deux élections régionales qui se déroulent le long du Rhin dans deux Länder allemands dimanche prochain. Attention, on parle de collectivités assez importantes : pour ce qui est de leur population respective, c’est parfaitement comparable à la Suède et au Danemark !

Premier constat, toujours utile à rappeler : les élections des parlements régionaux, très importants dans une République fédérale, n’ont jamais lieu en même temps dans les seize Länder. Chacun suit son calendrier. Du coup, elles ne sont que rarement l’occasion de punir le gouvernement central, mais tournent vraiment autour des enjeux locaux. Idem d’ailleurs pour les municipales (appelées « communales »), dont le calendrier est fixé par chaque région.

Deuxième constat, assez évident : les deux Länder examinés dans notre stage, sont dirigés depuis un bon moment par des coalitions. Normal, car lors d’un scrutin proportionnel, obtenir une majorité absolue n’est guère possible, notamment dans un paysage politique plus fragmenté qu’avant.

Et troisième constat : ce sont des coalitions tout à fait stables. Bien sûr, la formation de ces coalitions peut prendre plus ou moins de temps après les élections, mais la nécessité de travailler ensemble après fait aussi en sorte que la campagne électorale soit autrement plus correcte dans le ton que ce qu’on peut connaître ailleurs.

Question de la part de votre stagiaire préférée : qui est en tête dans ces deux Länder ? Le CDU, les Chrétiens-Démocrates d’Angela Merkel ?

Eh bien, pas du tout.

La Rhénanie-Palatinat est dirigé depuis huit ans par la très populaire Malu Dreyer (Malu, c’est Maria Louise à l’origine), une Social-Démocrate de tout juste 60 ans. La coalition qu’elle a mise en place se passe même entièrement du CDU, puisqu’elle a préféré prendre les Verts et les Libéraux à bord. Tout indique que cela risque d’être la même chose après dimanche, ce qui donnerait d’ailleurs trois partis de gouvernement tous menés par une femme. On dirait que la province allemande est un train de bouger.

Du côté du Baden-Württemberg, haut-lieu de l’industrie et l’un des moteurs de l’économie allemande, tenez-vous bien, c’est un Ecologiste qui est aux commandes depuis dix ans ! Winfried Kretschmann, 72 ans désormais, un dirigeant humaniste, assez charismatique et apprécié même par ses opposants, s’apprête à recueillir autour de 35% des suffrages, ce qui lui laissera le choix entre différentes coalitions possibles. Sans doute reprendra-t-il le dialogue avec le CDU, qui aura dans les 24%, et avec lequel il a déjà gouverné ces cinq dernières années.

La réussite de Monsieur Kretschmann est un signal : il a démontré sur la durée que « écologiste » et « pragmatique » ne sont pas des qualités qui s’excluent mutuellement, bien au contraire. En dix ans de règne d’un Vert, ni l’économie ni la démocratie ne se sont écroulées. Aurait-il eu sa chance dans un scrutin majoritaire comme en France ? Impossible. Le score remarquable de son parti ne se serait pas reflété dans le nombre de sièges au parlement, lui barrant le chemin de la responsabilité gouvernementale.

Votre stagiaire en prend bien note. La semaine prochaine donc, direction les Pays-Bas.

Exactement : on y vote traditionnellement le jeudi, mon édito sera donc diffusé après que les résultats seront connus. Qu’à cela ne tienne, on s’intéressera davantage au mode de scrutin qu’aux scores eux-mêmes.

Interview réalisée par Laurence Aubron

Toutes les éditos d'Albrecht Sonntag sont à retrouver juste ici