Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA École de management, à Angers. Déjà le septième édito de confinement ! Aujourd’hui, vous partagez une interrogation au sujet de la lutte contre le changement climatique.
La question est en fait très simple : que vaudra l’engagement pour une transition écologique lors du redémarrage – sous perfusion massive – de l’activité économique, après la crise actuelle ? Mais commençons par un petit retour en arrière : le protocole de Kyoto, cela vous dit-il encore quelque chose ?
Oui, bien sûr, même si cela date un peu. C’est l’ancêtre des grandes conférences climatiques, non ? De mémoire, il a dû être signé au milieu des années 1990 :
En 1997, pour être plus précis. C’était la troisième des 'COP', dont on a tenu la 21ème à Paris en 2015 et dont la 26ème édition – qui devait avoir lieu à Glasgow en décembre – vient d’être reportée à une date ultérieure.
À Kyoto, il s’agissait déjà de réduire les émissions de gaz à effet de serre, par différents mécanismes, comme celui du négoce des permis d’émission sur un marché que l’on imaginait mondial et opérationnel. Ou celui, appelé 'mécanisme de développement propre', censé faciliter les investissements durables dans les pays en voie de développement.
La France y était représentée par l’écologiste Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, que l’on appelait à l’époque 'la gauche plurielle' du gouvernement Jospin. Son homologue allemande était une femme politique inexpérimentée de 43 ans, que le chancelier Kohl avait sorti de son chapeau pour avoir dans son gouvernement au moins une ministre en provenance de l’Est.
Ne seriez-vous pas en train de parler d’Angela Merkel ?
Exactement ! Les négociations de Kyoto lui ont donné une réputation de défenseure de l’environnement, qui lui est restée collée à la peau, même si les actes politiques n’ont pas toujours été à la hauteur de la rhétorique. Certes, le lancement, en 2010, du plan de transition énergétique en Allemagne a été spectaculaire, et ses interventions lors des sommets européens et mondiaux sonnent généralement à la fois ambitieuses et crédibles. Mais dans les actes, cela laisse à désirer. Force est de constater qu’elle s’est montrée très souvent sensible aux intérêts de l’industrie automobile de son pays, et aux arguments des lobbys des grands groupes énergétiques.
Qu’en sera-t-il alors pendant la relance de l’économie européenne, à laquelle on s’attend pour l’après-Covid-19, portée par le grand objectif de la croissance, avec tout ce qu’elle implique ?
Cette semaine, Mme Merkel a profité du 'Dialogue climatique de Petersberg', un meeting annuel préparatoire pour les 'COP', pour prendre position. Selon elle, il sera indispensable, lors de la mise en œuvre des grands programmes d’investissements à venir, 'de ne pas faire des économies sur la protection du climat, mais au contraire d’investir dans les technologies d’avenir' et 'de faire avancer nos engagements internationaux'. Parmi lesquels, bien entendu, le 'New Green Deal' de la Commission européenne.
Et vous en pensez quoi ? Est-ce que cette fois-ci, les actions tangibles vont suivre les professions de foi symboliques ?
L’espoir fait vivre, mon cher Simon ! D’ailleurs, en allemand, cela se dit de manière encore plus sceptique : 'L’espoir meurt en dernier' ('Die Hoffnung stirbt zuletzt', NDLR).
Subtilités linguistiques à part, il n’est pas exclu que la chancelière soit sincèrement résolue à tenir parole. Cet optimisme - très modéré - se base sur la convergence actuelle de plusieurs circonstances.
D’abord, l’Allemagne sera à partir de juillet chargée de la présidence tournante de l’Union européenne. C’est un sacré timing, car la deuxième moitié de l’année 2020 sera effectivement une opportunité énorme de montrer son leadership, dans une Europe qui en manque. Si elle le veut vraiment, Angela Merkel peut non seulement peser très fortement sur l’agenda, mais aussi montrer l’exemple.
Ensuite, deuxième circonstance : la crise sanitaire soudaine lui a offert un regain de popularité et de confiance inespéré. Son parti, le CDU, était talonné par les Verts, mais la crise lui a permis de remonter à des niveaux d’intentions de vote impensables il y a trois mois seulement. Et dont on ne peut savoir si elles vont durer. C’est le meilleur moment pour creuser l’écart en adoptant, au moins dans le discours, certaines positions de ses concurrents les plus dangereux. Une stratégie qui a déjà fonctionné envers les sociaux-démocrates.
Et enfin, il y a peut-être aussi le souci de l’héritage politique qu’elle laissera. En principe, c’est la dernière de ses seize années à la chancellerie avant les élections de 2021. Et elle a clairement fait comprendre qu’elle n’occupera pas d’autre fonction après avoir quitté celle-ci. L’image que l’on gardera d’elle, en Allemagne et en Europe, sera fortement imprégnée par les actions des douze mois à venir. À la limite, dans un joli paradoxe, ce serait une bonne chose si pour une fois, elle se laissait motiver par de la vanité personnelle.
Un dernier tour de stade aux enjeux très importants, donc ! On aura l’occasion de le suivre attentivement sur notre antenne.