Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
C’est parti, la Conférence sur l’Avenir de l’Europe a été lancée. Avez-vous des propositions à y soumettre, Albrecht Sonntag ?
Vous vous en doutez, j’ai mes petites idées au sujet de l’avenir de l’Europe.
Laissez-moi tester trois propositions avec vous, et vous me dites ce que vous en pensez, d’accord ?
Je vous écoute.
Première proposition : « Il n’y a qu’un régime fédéral bien équilibré qui puisse redonner vie à une Europe affaiblie. »
Deuxième proposition : « Liberté d’expression et protection du citoyen de l’arbitraire de l’Etat doivent être les fondements d’une nouvelle Europe. »
Troisième proposition, en élargissant la perspective : « Tout peuple et tout individu a droit à accéder aux richesses de ce monde. »
Je vous reconnais dans les propos, mais en même temps, cela ne ressemble pas à votre style habituel.
Vous avez raison, Laurence, elles ne sont pas de moi, ces phrases, je les ai pompées.
Elles sont issues d’un texte qui m’est cher, qui date de près de 80 ans, et qui me paraît d’une pertinence encore plus forte qu’il y a trois ans, quand je l’ai évoqué pour la première fois sur Euradio.
Ce sont des revendications qui figurent dans le cinquième tract du groupe de résistance de la Rose Blanche (1), dont les membres ont été exécutés par le régime national-socialiste en février 1943.
Ce qui est intrigant, c’est qu’ils ne se contentent pas, dans leurs pamphlets copiés et distribués au risque de leur vie, de dénoncer les méfaits des Nazis, mais qu’ils dessinent d’ores et déjà les contours d’une nouvelle Europe.
On connait bien la Rose Blanche, incarnée souvent par Sophie Scholl, devenue une icône de la résistance allemande. Mais j’ignorais cette facette de leurs écrits.
Oui, leur perspective européenne témoigne du fait que les idées qui ont fini par donner naissance à une communauté européenne le 9 mai 1950, circulaient déjà avant d’être coulées par Jean Monnet dans une vision politique réalisable.
Il y a d’autres idées très actuelles dans leur tract qui mériteraient d’être développés, au sujet des inégalités, par exemple, mais ce qui m’a frappé ces derniers jours, ce sont deux coïncidences.
D’abord le fait que la grande Conférence sur l’Avenir de l’Europe ait été reportée dans le calendrier pour cause de pandémie, mais que c’est en même temps cette pandémie-même qui a redonné une toute nouvelle actualité aux revendications fondamentales de la Rose Blanche.
Reprenons les trois propositions :
- Je sais qu’il est de bon ton de rappeler qu’une Europe fédérale n’est pas à l’ordre du jour, mais il est évident que cette Union continue à se fédéraliser, petit à petit, et la crise sanitaire a apporté sa pierre à ce processus.
- Je sais aussi que nous avons très envie considérer la liberté d’expression et l’Etat de droit qui protège l’individu contre l’arbitraire comme des acquis, mais nous sommes bien obligés de reconnaître qu’ils ne vont pas de soi, même en Europe.
- Enfin, l’appel à la solidarité et à la générosité – « Tout peuple et tout individu a droit à accéder aux richesses de ce monde » – a pris une actualité toute nouvelle, non seulement autour du partage des vaccins avec des pays plus pauvres, mais aussi dans la prise de conscience accrue du lourd passif de l’Europe en matière d’esclavage et de colonialisme.
Puis, il y a une deuxième coïncidence :
Cette grande Conférence sur l’Avenir de l’Europe a été lancée le 9 mai. Journée de l’Europe, bien sûr. Mais aussi la date de naissance de Sophie Scholl. Dimanche dernier, elle aurait eu 100 ans.
Effectivement, quelle coïncidence ! En tout cas, on vous pardonne facilement d’avoir « pompé » vos idées pour l’édito d’aujourd’hui dans un écrit historique. Nous aurons sans doute d’autres occasions de revenir au sujet de la grande Conférence. En attendant, je vous dis « à la semaine prochaine » !
Laurence Aubron - Albrecht Sonntag
(1) Voir Mickey 3D, La rose blanche
Toutes les éditos d'Albrecht Sonntag sont à retrouver juste ici
Photo : Juliane Liebermann on Unsplash