L'édito d'Albrecht Sonntag - 17.30.11 - La démocratie sociale : une espèce en voie d’extinction
L’édito d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management. La semaine dernière, il a tenu à dédramatiser les difficultés de la formation d’un gouvernement en Allemagne. Cette semaine, il se pose la question si les déboires actuels du SPD allemand ne sont pas en quelque sorte le symptôme d’un déclin irréversible à travers l’Europe entière.
Il y a une quinzaine d’années, lors d’un voyage d’études au Parlement européen, une députée socialiste française se moquait de ses camarades parisiens pour qui l’étiquette « social-démocrate », qu’elle n’avait aucune objection à endosser ici à Bruxelles, était carrément tabou, car « pas assez de gauche ». Pour sa part, elle avait beaucoup de respect et d’admiration pour le mouvement social-démocrate, et sa tradition longue d’un siècle et demi.
C’était au début des années 2000, et c’était le bon vieux temps. Aujourd’hui, la social-démocratie connaît sans doute la crise la plus profonde de sa longue histoire, et les déboires actuelles du SPD allemand, tiraillé entre ses principes idéologiques et l’obligation morale de s’engager dans une coalition gouvernementale, en sont effectivement un symptôme parlant et cruel.
En quoi ces particularités allemandes sont-elles symptomatiques de la situation européenne ?
D’abord, parce que derrière la situation allemande actuelle, certes particulière, il y a un déclin électoral inexorable qui est partagé à travers un grand nombre d’Etats-membres européens, du Nord au Sud. Je suis tombé sur un graphique très concluant cette semaine, qui regroupe les trajectoires des partis d’obédience social-démocrate dans une petite vingtaine d’Etats-membres européens.
Pour certains, les chiffres sont plus douloureux que pour d’autres, mais on est bien en face d’un déclin massif qui commence à se faire sentir depuis le début du siècle – le moment où nous parlions avec la députée à Bruxelles – et qui s’accélère considérablement depuis une décennie, autrement dit : depuis que la crise économique et financière a éclaté.
Et ce « timing » n’est pas anodin. La Social-Démocratie, c’est la promesse de la protection sociale et de la redistribution dans un environnement capitaliste qui produit inévitablement des inégalités et des injustices. Pendant un demi-siècle, elle a réussi à tenir cette promesse, mais au moment où le besoin de protection et de justice sociales s’est fait sentir plus fortement que depuis des décennies, elle n’arrive plus à proposer, de manière crédible, une réponse aux dérives du monde économique du XXIe siècle. Résultat : l’électorat se détourne d’elle, au profit des nouvelles formations, le plus souvent venues de positions plus radicales, que ce soit à gauche ou à droite.
Les politiques européennes de cette dernière décennie, ont-elles contribué à cette évolution ou s’agit-il de phénomènes nationaux isolés ?
Il y a, bien sûr, des particularismes nationaux. Et chacun des partis concernés a eu sa part de responsabilité dans son propre déclin, que ce soit à travers des manœuvres électorales incohérentes, des pratiques opaques, ou des scandales de corruption.
Mais il faut bien reconnaître que l’intégration européenne, telle qu’elle a été mise en œuvre ces dernières années, a lourdement contribué au déclin général de la Social-Démocratie. En donnant la priorité quasi-absolue, depuis l’Acte Unique et le Traité de Maastricht, à la construction et consolidation d’un marché unique, elle a en quelque sorte obligé les forces sociaux-démocrates à intérioriser un certain nombre de doctrines du capitalisme libéral et à faire des contorsions idéologiques. Il y a vingt ans, on a célébré les approches du « New Labour » de Tony Blair et de la « Neue Mitte » de Gerhard Schröder comme un renouveau de la Social-Démocratie : un genre de « réconciliation » de la Social-Démocratie avec les impératifs du marché triomphant. Il n’est guère surprenant que leurs successeurs aient aujourd’hui des sentiments mitigés en faisant le bilan de ces années (qui ne sont pas si loin que cela, et qui précèdent directement les années de déclin massif).
Alors, que prédit la science politique ? Vivons-nous la fin de la Social-Démocratie ?
C’est bien possible. Sans vouloir déjà écrire sa nécrologie, il faut se rendre à l’évidence : elle n’est pas bien armée pour les années qui viennent. Dans un paysage politique toujours plus polarisé, sa capacité d’œuvrer pour le progrès social tout en cherchant le compromis avec le libéralisme économique n’a plus guère de place. Dans certains Etats, elle se fera marginaliser durablement sur l’échiquier politique par des voix populistes plus radicales sur sa gauche. Dans d’autres, elle risque d’user les forces qui lui restent dans des coalitions qui trahissent ses idées et rajoutent à sa perte de légitimité. Et ailleurs, dans ce qu’on appelle désormais les « démocraties illibérales », elle risque de disparaître tout court, puisque la protection sociale est assurée par une droite nationaliste.
Il y a quinze ans seulement, on s’amusait avec mes étudiants des étiquettes et des bisbilles entre « Sociaux-Démocrates » et « Socialistes ». C’était hier, ça paraît très loin.
L’édito d’Albrecht Sonntag – 17.30.11 – La démocratie sociale : une espèce en voie d’extinction
Albrecht Sonntag, professeur à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management et membre d’Alliance Europa.
Albrecht Sonntag est professeur à l'EU-Asia Institute. Docteur en sociologie, il travaille sur les dimensions multiples du processus d’intégration européenne. Albrecht est également membre de l'Alliance Europa, consortium universitaire interdisciplinaire en Pays de la Loire.
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— Euradionantes (@euradionantes) 1 décembre 2017