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Berlin-Pékin : le nouveau gouvernement allemand à la recherche de davantage de cohérence

© European Union, 2023 Berlin-Pékin : le nouveau gouvernement allemand à la recherche de davantage de cohérence
© European Union, 2023

Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.

Marie, vous allez aujourd’hui nous parler des relations entre la Chine et l’Europe alors qu’on fête cette année les cinquante ans des relations diplomatiques sino-européennes. Sur fond de tensions dans les relations transatlantiques en raison de la mise en place par Donald Trump de droits de douane contre les importations européennes, l’UE peut être tentée de se tourner vers la Chine. Nous allons voir cela avec vous. Mais tout d’abord pourriez-vous nous en dire plus sur comment les relations entre l’Allemagne et la Chine ont évolué au cours des dernières années ?

Avec le Covid-19 les relations se sont envenimées entre rhétorique du loup guerrier, boycotts populaires contre des marques de l’habillement européennes et sanctions décidées par Pékin contre des parlementaires européens et des groupes de réflexion comme Merics. Rappelons que ces sanctions ont enterré l’accord sur les investissements UE-Chine que l’Allemagne considérait comme une priorité de sa présidence tournante du conseil de l’UE en 2020.

Sous la « coalition feu tricolore » une « Stratégie globale vis-à-vis de la Chine » a été élaborée pour réduire les dépendances et les vulnérabilités de l’Allemagne par rapport à la Chine, important débouché pour l’industrie automobile et chimique et source d’approvisionnement en minerais critiques et en terres rares.

La politique par rapport à la Chine de la coalition feu tricolore s’est caractérisée par une certaine cacophonie car les responsables politiques les plus concernés par les relations avec Pékin étaient soit des faucons, chez les verts, soit des colombes, chez les sociaux-démocrates. Il devrait y avoir plus de cohérence dans les années à venir, la chancellerie, le ministère des affaires étrangères et le ministère de l’économie étant désormais aux manettes d'un seul et même parti, la CDU, qui veillera à incarner une ligne homogène.

Les relations sino-européennes sont tendues mais il semblerait que ces derniers temps il y ait une tentative de rapprochement entre l’Europe et la Chine…

Vous l’avez évoqué, 2025 est l’année où on commémore les cinquante ans des relations diplomatiques entre Pékin et Bruxelles. Le sommet UE-Chine à la mi-juillet devrait être placé sous le signe de ces commémorations.

Au-delà de la symbolique on a pu noter de fréquentes prises de contact entre l'UE et la Chine ces derniers temps, le commissaire européen au commerce, les ministres des Affaires étrangères français et portugais et le premier ministre espagnol s’étant rendus à Pékin récemment, confirmant ainsi une volonté de rapprochement.

On peut rappeler que l’UE avait mis en place des droits de douane contre les véhicules chinois en raison de subventions chinoises faussant la concurrence. En réaction la Chine avait menacé de prendre des contremesures. Signe d'une volonté d'apaisement, à l’issue de sa récente visite en Chine le ministre des Affaires étrangères français a obtenu un report des droits de douane chinois contre le cognac.

Par ailleurs fin avril, Pékin a annoncé la levée des sanctions évoquées tout à l’heure. Cela s’accompagne aussi de discussions sur les surcapacités chinoises, Bruxelles plaidant pour davantage de réciprocité dans les échanges.

Que prévoit le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand par rapport à la Chine ?

Le contrat de coalition constate qu’à la recherche du meilleur qualificatif pour la Chine entre « partenaire », « concurrent » et « rival systémique » le curseur se déplace de plus en plus vers la rivalité systémique.

C'est pourquoi une commission d’experts doit établir un rapport annuel sur les risques, les dépendances et les vulnérabilités dans les interactions économiques avec la Chine suivi de recommandations concrètes.

De même, le contrat de coalition prévoit une meilleure coordination européenne dans l’approche à adopter face à Pékin. Dans le passé ce type de formulation a pu susciter des critiques dans la mesure où on pouvait y voir la tendance de l’Allemagne de se cacher derrière Bruxelles dès lors qu’il s’agit de se montrer assertif.

Quant au positionnement de Friedrich Merz par rapport à la Chine, on peut rappeler son discours à la fondation Körber en janvier 2025 où il s’est montré ferme mettant en garde les entreprises allemandes à ne pas prendre de risques inconsidérés en investissant en Chine. Il ne faut pas compter sur l’Etat pour sauver ces entreprises en cas de tensions accrues avec la Chine, avertissait-il.

Les entreprises allemandes partagent-elles cette vision des choses ?

Non, pas vraiment, Laurence. Il y a peu, une trentaine d’entreprises allemandes actives en Chine ont établi un document à destination du futur gouvernement de Friedrich Merz pour sensibiliser sur le fait que la Chine est incontournable et qu’il faut miser sur ce marché qui est à la pointe de l’innovation notamment dans les batteries, la conduite autonome ou la robotique.

Le gouvernement pourrait être réceptif à cet appel face aux droits de douane de Donald Trump qui sont susceptibles de perturber, voire de réorienter, les investissements et les chaînes d’approvisionnement.

D’autant que Pékin essaie de tirer son épingle du jeu : fin mars les patrons de BMW, Mercedes, Schaeffler, DHL, Siemens ou encore Thyssenkrupp étaient invités au Palais de l'Assemblée du peuple à Pékin dans le cadre d’une offensive de charme visant à présenter la Chine comme alternative fiable et prévisible par opposition à l’instabilité incarnée par les Etats-Unis de Donald Trump.

Les Etats-Unis laisseront-ils faire ou accroitront-ils la pression sur leurs partenaires européens pour qu’ils prennent leurs distances avec la Chine ? Là est toute la question. A l’avenir, des choix de l’Allemagne plus affirmés seront sans doute nécessaires si elle veut éviter de subir le durcissement des relations entre Pékin et Washington.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron