Fréquence Europe

TVA sur l'énergie : l'Europe coupable ou bouc émissaire ?

TVA sur l'énergie : l'Europe coupable ou bouc émissaire ?

Toutes les deux semaines sur euradio, retrouvez « Fréquence Europe », la chronique de Radio Judaïca et l’Europe Direct Strasbourg, présentée par Olivier Singer.

Depuis le 1er août, la TVA sur les abonnements d’électricité et de gaz a grimpé de 5,5 % à 20 %. Et comme souvent quand la facture augmente, beaucoup disent : “C’est à cause de l’Europe !”


Alors, Olivier, c’est vrai ou faux ?

Eh bien… c’est en grande partie faux.


Mais c’est exact de dire que la hausse s’inscrit dans le cadre du droit européen.


En revanche, soyons tout de suite très clairs : l’Union européenne n’a jamais imposé à la France de passer la TVA sur l’abonnement du gaz et de l’électricité à 20 %.

Avant d’entrer dans le détail, il faut rappeler une chose : la fiscalité reste une compétence nationale.


En clair, c’est chaque État qui décide de ses impôts et de leurs taux.


L’Union européenne ne s’occupe ni de l’impôt sur le revenu, ni de la taxe foncière, ni même de l’impôt sur les sociétés, même si, sur ce dernier, un peu plus d’harmonisation pourrait parfois être utile, notamment pour éviter la concurrence fiscale entre pays.


Mais pour la TVA, c’est un peu différent.

Et pourquoi cet impôt-là précisément ?

Parce que la TVA est un impôt sur la consommation, donc directement lié à la circulation des biens dans le marché unique européen.


Si chaque pays faisait ce qu’il voulait, on aurait un vrai risque de distorsion de concurrence.

On le voit bien dans les régions frontalières, entre la France, la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne, où les différences de TVA ont un vrai impact : les prix changent, les entreprises s’adaptent, et certains consommateurs traversent la frontière pour payer moins cher.

C’est pour éviter cela que l’Union a adopté en 2006 une directive pour encadrer cet impôt.


Cette directive ne fixe pas les taux eux-mêmes, mais un cadre commun :

  • un taux normal de TVA d’au moins 15 %,
  • et la possibilité d’appliquer un taux réduit, à partir de 5 %, pour certains biens essentiels.

En France, c’est le cas pour les denrées alimentaires, les produits d’hygiène féminine, les livres… ou encore les abonnements au gaz et à l’électricité.


Mais à l’intérieur de ce cadre, chaque État reste libre.


Résultat : le taux normal varie aujourd’hui de 17 % au Luxembourg à 27 % en Hongrie !


Mais alors, Olivier, quelle est la raison de la hausse de la TVA sur les abonnements au gaz et à l’électricité ?

Le problème vient d’une incohérence entre deux taux appliqués à un même service.
Jusqu’à cet été, la France appliquait :

  • une TVA à 5,5 % sur l’abonnement,
  • et une TVA à 20 % sur la consommation d’électricité ou de gaz.

Or, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt de 2018, a jugé qu’on ne peut pas appliquer deux taux différents sur une prestation unique.


Autrement dit : si vous payez pour la “fourniture d’énergie”, abonnement et consommation ne forment qu’un seul service, donc un seul taux doit s’appliquer.


C’est cette décision de justice qui a poussé la France à modifier son système.

Donc la France devait forcément choisir 20 % ?

Non, pas du tout ! Et c’est là que la nuance est importante.


La France devait harmoniser, oui, mais elle avait le choix du taux.


Elle aurait très bien pu choisir un taux unique de 5,5 % ou un taux intermédiaire, par exemple 10 %.

C’est d’ailleurs ce qu’ont fait d’autres pays :

  • la Belgique applique 6 %,
  • l’Italie 10 %,
  • l’Allemagne 19 %.

Mais le gouvernement français a préféré harmoniser par le haut, à 20 %.
Pour deux raisons principales :

  • éviter une perte budgétaire importante, de plusieurs milliards d’euros,
  • et simplifier le système, en gardant le taux normal déjà en vigueur pour la plupart des biens.

C’est donc au final le consommateur qui trinque !

Pas tout à fait. Cette hausse de TVA sur l’abonnement a été compensée par la baisse d’autres taxes, comme l’accise sur l’électricité et le TURPE, le tarif d’utilisation des réseaux publics.


Résultat : pour beaucoup de ménages, l’effet sur la facture reste limité, voire peut même baisser. Mais c’est vrai que ceux qui consomment peu et pour qui la part fixe, l’abonnement, pèse davantage dans la facture verront une petite hausse.

Au fond, ce débat illustre bien une chose : l’Union européenne sert souvent de bouc émissaire pour justifier des décisions impopulaires.


En réalité, les marges de manœuvre existaient, et c’est bien un choix du gouvernement français d’avoir privilégié le taux de 20 %.


L’Europe, ici, n’est pas coupable : elle a simplement fixé les règles du jeu.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.