Toutes les deux semaines sur euradio, retrouvez la chronique Fréquence Europe de Radio Judaïca et l’Europe Direct Strasbourg, présentée par Olivier Singer.
Vous avez souhaité revenir cette semaine sur l’affaire du Qatargate qui secoue actuellement le Parlement européen.
Cette histoire semble tout droit tirée d’un scénario d’une série telle que « house of cards ». Des député·es européen·nes et des ex. député·es sous écoutes téléphoniques, beaucoup d’argent liquide caché dans des valises, dans des poussettes sous des couches pour bébés, de la corruption organisée par des États étrangers alliés. C’est quand même du jamais vu au Parlement européen.
Le 9 décembre 2022, quelques jours avant la finale de la coupe du monde au Qatar, plusieurs médias belges révélaient un scandale de corruption touchant notamment une des vice-présidentes du Parlement européen, la députée européenne grecque Eva Kaili. Elle est accusée avec d’autres personnes de son entourage d’avoir reçu de l’argent du Qatar, du Maroc pour tenter d’influencer certaines décisions européennes en leur faveur. À noter que ces deux pays ont vigoureusement contesté ces allégations.
Qui sont les protagonistes de cette affaire ?
Déjà c’est la justice belge qui est à la manœuvre. L’enquête est actuellement dirigée par le juge belge Michel Claise, spécialiste de la criminalité financière. Si le scandale n’a éclaté que récemment, l’enquête avait déjà débuté il y a un an et abouti aujourd’hui avec l’inculpation pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption » d’Eva Kailli, de son compagnon italien Francesco Giorgi et qui était également l’assistant parlementaire de l’ex-député européen Pier-Antonio Panzeri devenu lobbyiste, enfin d’un dirigeant syndical italien. Ils ont tous les quatre été placé·es en détention provisoire. En tout plus de 1,5 million d’euros en liquide ont été saisis au cours d’une vingtaine de perquisitions. Deux députés européens actuels, le Belge Marc Tarabella et l’Italien Andrea Cozzolino, sont également suspectés par la justice belge. La levée de leur immunité parlementaire devrait intervenir lors de la session plénière du Parlement à Strasbourg au mois de février prochain. La plupart des protagonistes sont proches du Groupe S&D, les Socialistes et Démocrates au Parlement européen. Selon les premiers éléments de l’enquête, le chef d’orchestre de cette affaire serait l’ancien euro-député socialiste italien Pier Antonio Panzeri. Élu de 2004 à 2019 au Parlement européen, il a notamment occupé la présidence de la délégation sur les relations avec les pays du Maghreb. À l’issue de son mandat en 2019, il fonde l’ONG Fight impunity, qui semble avoir servi de paravent aux activités de corruption.
Le personnage clé de cette affaire, Pier Antonio Panzeri, a signé avec la justice belge un accord « de repenti » en échange d’une peine de prison ferme « réduite » et d’une amende. Ses déclarations devront être « substantielles, révélatrices, sincères et complètes » et pourraient ainsi faire avancer rapidement l’enquête.
Et comment le Parlement européen a-t-il réagi ?
Après la surprise, ce scandale a semé la consternation au Parlement européen, d’autant qu’il touche des personnes qui jouissaient d’une très bonne réputation au sein de l’assemblée européenne. La Présidente du Parlement a rapidement annoncé sa volonté de coopérer avec les autorités judiciaires belges afin de démanteler ce réseau en ajoutant qu’il n’y aura aucune impunité. Dès le 13 décembre 2022, le Parlement européen a démis Eva Kaili de sa fonction de vice-présidente du Parlement européen. Son remplaçant, le député européen luxembourgeois Marc Angel a été élu au cours de la session de janvier. Le groupe d’amitié entre l’UE et le Qatar a immédiatement été suspendu.
Mais le Qatargate révèle également les défaillances du Parlement à contrôler les règles de transparence et interroge quant à l’encadrement du lobbying.
En quoi consiste l’activité de lobbying ?
Le lobbying est une activité légale qui consiste pour des groupes de pression (l’industrie du tabac ou des ONG comme Greenpeace) à tenter d’influencer des politiques publiques européennes (par la remise de rapport, des rencontres…). Attention, dans notre affaire les faits sont considérés par la justice comme de la corruption d’où l’inculpation des différents protagonistes.
Alors en quoi cette affaire révèle-t-elle des défaillances du Parlement européen ?
Aujourd’hui, le lobbying au niveau européen est principalement encadré par un registre de transparence. Cette base de données répertorie l’ensemble des entités qui souhaitent mener des activités de lobbying. Selon le site d'information touteleurope.fr au 17 janvier 2023, 12 461 entités y étaient inscrites. Concrètement, celles-ci doivent remplir une déclaration annuelle publiée dans le registre. On y retrouve des informations sur le montant des dépenses ainsi que l’objet des activités de lobbying de l’organisation. En s’enregistrant, les lobbyistes doivent se conformer à un code de conduite.
Cette affaire révèle des défaillances dans le contrôle puisque, l’ONG « Fight Impunity », au cœur du scandale du Qatargate, avait ses entrées au Parlement et participait aux réunions alors qu’elle n’était même pas inscrite dans ce fameux registre.
Que prévoit le Parlement européen pour remédier à ces défaillances ?
Dès le 12 janvier dernier, la présidente de l’assemblée strasbourgeoise Roberta Metsola a présenté 14 mesures pour lutter contre les conflits d’intérêt et l’ingérence des pays tiers. Elle prévoit notamment que les ancien·nes député·es européen·nes (comme Pier Antonio Panzeri), auront l’interdiction de faire du lobbying à la fin de leur mandat. Les député·es devront également être plus transparent·e et publier tous les cadeaux reçus, la liste des voyages et réunions réalisés hors de l’Union européenne ainsi que les rencontres réalisées dans le cadre de leur mandat. Les groupes d’amitiés non officiels seront interdits, car il existe pour cela des délégations parlementaires officielles. Le Parlement européen compte par exemple une délégation avec la péninsule arabique dont le Qatar fait partie. Enfin, la présidente du Parlement propose également de renforcer les contrôles en augmentant les effectifs travaillant au registre de la transparence afin de mieux superviser les activités de lobbying.
Le plan proposé par la présidente du Parlement européen ne fait pourtant pas l’unanimité. Certains groupes politiques souhaitent la création comme cela était envisagé dès 2019 d’un organisme indépendant chargé des questions d’éthique avec des pouvoirs d’enquête et de sanctions pour améliorer la transparence des institutions de l’UE.
Il reste maintenant à savoir quelles seront les conséquences que laissera cette affaire et ses futures révélations pour les citoyens alors que se profilent les élections européennes en 2024.