Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’Etat de droit c’est donner corps au courage des citoyens qui souhaitent vivre en paix et en sécurité, on en a parlé la semaine dernière, mais est-ce qu’on peut dire que ce même Etat de droit constitue le ciment d’une Europe géopolitique ?
C’est vrai Laurence que ces 3 dernières années, la construction européenne interpelle. Elle ne se désintègre pas mais elle ne se fédère pas non plus complètement. Elle occupe un rôle sur la scène internationale et se maintient malgré des opposants farouches.
Oui n'oublions pas qu’en 2024, 26 % des électeurs européens ont opté pour des partis eurosceptiques voire europhobes au Parlement européen.
Exactement. Mais l’arrivée de Trump remet en question une bonne partie de l’argumentaire anti-UE reposant sur le fait qu’elle serait un pantin des Etats-Unis.
C’est vrai que Donald Trump désigne clairement l’Union européenne comme son adversaire!
Oui, avec de telles déclarations, Donald Trump a peut-être rendu service aux Européens. Il faut bien admettre que depuis les conflits fratricides qui ont désintégré la Yougoslavie, l’UE cherche sans succès à devenir un acteur géostratégique mondial pertinent sans jamais y être parvenue.
Oui, maintenant que les Etats-Unis annoncent abandonner l'Ukraine, l'Union a compris qu'elle devait aspirer à être autonome des États-Unis dans ce domaine.
C’est indiscutable, même chez les porte-paroles de l’euroscepticisme. Alors on peut discuter de la manière dont l’Europe peut s’autonomiser. Il y a débat, des désaccords mais cela me semble plutôt sain. La construction européenne interpelle de plus en plus.
On dirait même que l’UE apparaît soudainement comme une présence familière, rassurante, protectrice, malgré ses manques, avec le dernier eurobaromètre du 25 mars 2025, qui annonce que 75% des Européens estiment que leur pays bénéficie de l’adhésion à l’UE.
Oui, on est loin de la majorité des contenus qui ont envahi l’espace communicationnel, c’est intéressant à relever. Un autre point dans ce sondage : la défense se trouve au cœur des préoccupations des citoyens européens.
C’est dans ce contexte que la Turquie, considérée comme un membre peu fiable au sein de l’OTAN, redevient une option pour l’Europe fragilisée par le changement de position de Washington.
Difficile de se prononcer en ce qui concerne l’OTAN. Mais, clairement, ce rapprochement pose la question de savoir si cela doit se faire au prix de l’Etat de droit.
La Commission européenne a décidé d’ouvrir la porte à certains pays tiers, dont la Turquie, le Royaume-Uni et la Norvège, pour collaborer sur son nouveau programme de défense, Security Action for Europe (SAFE).
Eh oui et on perçoit bien que, contrairement aux régimes en place à Oslo et à Londres, Ankara fait encore la preuve d’un rejet clair des exigences européennes en matière d’Etat de droit. L’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, signe la suppression de la dernière menace électorale crédible pour R.T. Erdoğan. Il est évident que maintenant, l’Europe doit tirer les leçons des difficultés posées par la Hongrie ; elles seront dramatiques en cas d’inclusion de la Turquie de l’AKP dans les décisions tenant à la défense du continent.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.