L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
L'Union européenne a signé un "partenariat stratégique" avec l'Egypte pour 7,4 milliards d'euros. Que contient cet accord ?
Ursula von der Leyen et cinq chefs d'Etat et de gouvernements européens étaient au Caire pour rencontrer le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et signer cet accord. C'est un partenariat assez multidimensionnel qui a été signé. Des fonds sous forme d'investissement ou de prêts seront destinés jusqu'en 2027 tant aux questions énergétiques que migratoires.
Pourquoi l'Egypte cherche à attirer des fonds étrangers ?
L'Egypte traverse en ce moment une crise économique particulièrement sévère. Cela s'ajoute à la dette déjà colossale du gouvernement egyptien qui augmente exponentiellement. Je ne mentionne pas l'inflation qui est aussi très forte. Et l'Egypte qui dépend des recettes perçues par le Canal de Suez a vu le nombre de passages diminuer drastiquement à cause des attaques houthis contre des navires en mer rouge. Bref, l'économie n'est pas en bonne santé et le président al-Sissi cherche donc à attirer des fonds étrangers dans son pays. Les Emirats Arabes Unis se sont par exemple engagés à investir 35 milliards de dollars et le FMI à accorder 8 milliards de dollars de prêt. Rappelons que l'Egypte est entourée de pays instables; la Libye à l'Ouest rongée par la guerre civile, le Soudan au sud qui fait aussi l'objet de nombreux conflits armés, et les violences entre le Hamas et Israël à l'est. Cela n'aide pas au développement économique.
Et cela a aussi pour conséquence que l'Egypte accueille de nombreux réfugiés.
Tout à fait. Selon l'ONU, environ 500'000 migrants venant de toute la région avoisinante sont réfugiés en Egypte qui est plus stable que les autres Etats, ou 9 millions selon le gouvernement egyptien. Nombre de migrants cherchent par la suite à traverser la méditerranée et à obtenir une meilleure vie en Europe. Cette forte présence de réfugiés en Egypte inquiète certains gouvernements européens alors que Frontex enregistre une hausse de 50% du nombre de traversés de la méditerranée. Elle a motivé l'Union européenne à intégrer des mesures pour lutter contre les migrations dans l'accord signé avec l'Egypte cette semaine. Investir dans en Egypte est aussi un moyen pour l'Union européenne de stabiliser à son échelle l'économie égyptienne pour que cet État ne bascule pas dans l'instabilité à l'instar de ses voisins, et donc d'éviter une nouvelle vague migratoire venue d'Egypte.
Cet accord fait-il l'unanimité ?
Non, de nombreuses ONG critiquent cet accord. Certaines organisations défendant les migrants considèrent que l'Union européenne par cet accord sous-traite sa gestion des migrations tout en ignorant les violations des droits humains. Ce n'est pas la première fois que l'Union européenne signe des accords avec des Etats méditerranéens sur des questions migratoires. L'UE l'a notamment fait avec la Libye ou la Tunisie. Ces partenariats sur ces questions font souvent l'objet de polémiques et d'interrogation. En Egypte par exemple, certaines organisations comme Human Rights Watch ont documenté de nombreuses violations des droits de l'homme de la part du gouvernement contre des réfugiés. Ainsi, on peut évidemment s'inquiéter que de l'argent du contribuable européen vienne financer, plus ou moins directement, des graves abus contre des populations vulnérables. Et même si cela ne représente que 2.5% du montant total de l'accord, cela reste 200 millions d'euros. Le Parlement européen a d'ailleurs exprimé son inquiétude quelques jours avant la signature de l'accord avec l'Egypte quant à un partenariat similaire avec la Tunisie.
L'Egypte est loin d'être une démocratie où règne l'état de droit ?
En effet, le président al-Sisi dirige son pays d'une main de fer. La société civile fait l'objet de nombreuses restrictions et les violations des droits humains sont fréquentes. Ursula von der Leyen a assuré vouloir promouvoir la démocratie et les droits de l'homme en Egypte sans pour autant préciser sa méthode. Selon la présidente de la Commission européenne, cet objectif est prévu depuis 20 ans par l'accord d'association entre l'Egypte et l'Union européenne, et que le nouveau partenariat prévoit des réformes politiques, notamment dans le cadre des prêts. Mais objectivement, le nouveau partenariat ne cherche pas à encourager une démocratisation de l'Egypte ; il répond plutôt à des intérêts économiques et politiques.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.