L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
50 ans après la tentative de coup d'État en Chypre et l'invasion turque de l'île, les pourparlers semblent toujours difficiles.
En effet. Cette année marque le 50e anniversaire de la tentative de coup d'État soutenue par la Grèce et l'invasion turque qui a suivi. En d'autres termes, les 50 ans de la séparation de l'île en deux. Ersin Tatar, le chef de l'État séparatiste et autoproclamé de la chypre du nord, a déclaré dimanche dernier qu'il refuse de négocier avec le gouvernement de la partie sud de l'île tant que son État n'est pas reconnu comme souverain.
Comment se fait-il que Chypre soit divisée en deux depuis 50 ans ?
Chypre était une colonie britannique qui a obtenu son indépendance en 1960. La situation de l'île était déjà complexe avant son indépendance. Pour résumer très très brièvement, une grande majorité de la population de l'île est d'origine grecque tandis qu'une minorité est d'origine turque. L'avenir de Chypre faisait donc déjà débat bien avant son indépendance entre les partisans d'une Chypre unifiée à la Grèce, ou plutôt à la Turquie, une solution à deux États ou une Chypre indépendante. Au moment de l'indépendance, une solution à un seul État indépendant a été retenue par les parties. La constitution adoptée était un compromis qui garantissait de nombreux droits à la minorité turque. Cet équilibre institutionnel fut questionné lors des 15 années suivant l'indépendance de l'île et les violences inter-ethniques furent nombreuses.
Et donc en 1974, la situation a basculé.
Effectivement. En Juillet 1974, la junte militaire grecque soutient un coup d'État visant à réunir Chypre avec la Grèce. En réponse, l'armée turque envahit l'île quelques jours plus tard pour officiellement rétablir l'ordre constitutionnel, mais évidemment aussi pour protéger ses intérêts et ceux des populations turques. Depuis un cessez-le-feu, l'ile est divisée entre les deux puissances. Une ligne de démarcation, la ligne verte, contrôlée par l'ONU établit une zone démilitarisée entre les deux entités. Au sud, Chypre reste un État indépendant. Elle adhère à l'Union européenne en 2004. Au nord, les autorités se proclament également indépendantes mais ne sont reconnues que par la Turquie.
Les efforts visant à réunifier l’île n'ont toujours pas abouti, surtout après l’échec des dernières négociations en 2017.
Les parties se renvoient la balle. Chacunes s'accusent mutuellement de ne pas vouloir que les négociations aboutissent. Au nord, le gouvernement de la minorité turque ne souhaite pas la réunification selon les propos tenus par son président ces derniers jours. Seule une solution à deux États leur est acceptable. Ils ne souhaitent pas aussi voir les troupes turques quitter l'île, ce qui est une des raisons qui explique l'échec des dernières négociations. Au sud, des compromis sont plus durs à faire considérant le contexte.
Où en sont aujourd'hui les relations entre la Grèce et la Turquie ?
La relation entre la Grèce et la Turquie est très ancienne et complexe. Faisant autrefois partie de l'Empire Ottoman, la Grèce a été en guerre à plusieurs reprises avec la Turquie. Les deux États font cependant partie de la même alliance militaire depuis 1952, l'OTAN. Je vous passe les détails de la longue évolution de leurs relations, de moments de tensions intenses à des périodes très cordiales. Certaines tensions sont apparues dernièrement comme lors de la violation de la zone économique exclusive de la Grèce par des navires turques, sur les questions d'immigration ou énergétiques. Aujourd'hui, ces tensions semblent être du passé, pour l'instant en tout cas. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis devrait se rendre à Ankara en mai prochain.
L'amélioration de ces relations changera-t-elle la situation de Chypre ?
C'est peu probable. La situation chypriote est autonome des relations entre la Turquie et la Grèce. Même si ces deux États jouent un rôle particulièrement important en Chypre, rappelons que le sud est indépendant de la Grèce. De plus, l'amélioration des relations ne signifie pas que la Turquie acceptera des compromis quant à ses intérêts en Chypre. La présence turque en Chypre est stratégique mais aussi symbolique pour un chef d'État comme Erdogan qui prône la grande Turquie. La seule évolution qui peut réellement changer la donne serait l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. A défaut d'être unie au sein d'un même État, Chypre le serait au sein de l'Union. L'adhésion de la Turquie obligera les parties à discuter de la situation de Chypre et à trouver une solution dont la conséquence sera plus ou moins une unification de l'île. Mais nos auditeurs le savent certainement, l'adhésion de la Turquie dans les années qui suivent est particulièrement improbable.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.