Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur la place du Vieux continent sur la scène internationale.
La veille d'une conférence internationale contre le trafic de migrants, la junte militaire au Niger a annoncé l'abrogation d'une loi criminalisant les passeurs de migrants. C'est donc un revers pour l'Union européenne dans la région ?
C'est évidemment une mauvaise nouvelle pour Bruxelles. Même si l'immigration venue d'Afrique ne préoccupe pas autant qu'en 2015 les européens, la lutte contre l'immigration clandestine reste toujours une priorité pour l'Union européenne. A la suite de cette annonce, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, se dit très préoccupée car l'abrogation de cette loi provoquera selon elle de nouveaux décès de migrants tentant de traverser le désert ou la mer méditerranée. Cela s'ajoute à la décision tunisienne de refuser une aide européenne allouée à la lutte contre l'immigration clandestine et d'autres échecs dans la politique extérieure et migratoire de l'Union.
Quelle était cette loi ?
Vous vous en rappelez peut-être, l'année 2015 a été marquée par une grande vague migratoire qui a marqué l'opinion publique. Les autorités ont été forcées à réagir. L'Union européen a fait du Niger l'un des ces partenaires pour lutter contre l'immigration clandestine. Le pays a passé une loi criminalisant les passeurs et autres acteurs de cette économie.
L'imposition de cette loi a dû avoir des répercussions sur certaines régions au Niger dont l'économie bénéficie de l'immigration ?
Oui, prenons par exemple la ville d'Agadez. C'est la 5e ville du Niger et elle est devenue l'un des principaux points de transit pour les populations africaines se dirigeant vers l'Europe. Avant 2015, cette économie de la migration était autorisée et même assez développée. Une personne passant par Agadez pouvait trouver facilement des logements ou des passeurs pour continuer son parcours vers le nord. Mais cette économie a été touchée par la loi de 2015 criminalisant les passeurs de migrants. Des dizaines de personnes auraient été arrêtées, et d'autres condamnés à des amendes allant jusqu'à 45 000 euros. Les passeurs n'ont pas pour autant cessé leurs activités, mais se sont adaptés en prenant notamment des routes plus dangereuses, au détriment des migrants.
L'Union européenne a pourtant lancé des programmes de reconversion pour les populations impactées par cette loi. N'ont-elles pas été un succès ?
Tout à fait. L'Union européenne s'était engagée à financer la reconversion de ceux qui profitaient de cette économie. 7000 personnes devaient en bénéficier, mais seulement 300 ont été reconverties à Agadez et souvent des personnes qui ne participaient pas aux activités de passage de migrants. Elles étaient exclues du programme car considérées comme des criminels.
Quelles sont les raisons qui ont poussé la junte à abolir cette loi ? Les militaires au pouvoir ont très probablement souhaité renforcer leur pouvoir qui reste fragile. Des groupes rebelles en particulier dans le nord du pays sont très actifs. En abrogeant cette loi et permettant à cette économie de la migration de se développer, la junte cherche probablement à apaiser les tensions dans la région. Elle profite aussi du climat de haine envers la France et l'ensemble des États occidentaux et prend des mesures pour contenter l'opinion. La loi était considérée par certains comme une ingérence européenne dans les affaires nigeriennes, et notamment la libre circulation des personnes.
En abolissant cette loi, quel message envoie la junte militaire à l'Europe ?
Cette junte militaire qui est au pouvoir depuis cet été au Niger suite à un putsch semble très claire. Elle ne souhaite pas collaborer avec l'Europe, et notamment la France. Le Niger a par exemple dénoncé des accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec la France. En abolissant cette loi, c'est la même idée. Et pourtant il est primordial pour l'Union européenne d'avoir des partenaires dans la région, pour lutter contre le terrorisme par exemple ou l'immigration clandestine.
Peut-on s'attendre à une amélioration des relations entre le Niger et l'Union européenne ?
C'est très peu probable tant que la junte reste au pouvoir, ou du moins dans le court et moyen terme. Le Niger a exigé le départ des soldats français présents sur place, et la fin de deux missions européennes dans le pays. A la place, Niamey se rapproche de plus en plus de la Russie pour assurer sa sécurité, et de deux autres dictatures militaires africaines: le Mali et le Burkina Faso.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.