L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
La course à l'espace s'intensifie. Une sonde chinoise s'est posée sur la face cachée de la Lune le week-end dernier, et les États-Unis prévoient d'envoyer des Hommes sur la lune d'ici à 2024. Et l'Europe dans tout ça ?
On a l'impression d'être de retour dans la guerre froide lors de laquelle les États-Unis et l'URSS rivalisaient pour conquérir l'espace. Aujourd'hui, c'est la Chine qui concurrence les États-Unis dans cette nouvelle course à l'espace. Mais de nouveaux acteurs rivalisent aussi avec ces deux géants ; l'Inde, le Japon, mais aussi l'Europe ! L'Europe semble pourtant être dépassée par ces rivaux.
Pourquoi ?
L'Europe a été dépourvue de lanceurs ces dernières années. Autrement dit, l'Europe n'avait plus la capacité d'envoyer des objets dans l'espace de manière autonome. Le célèbre lanceur Ariane 5 a été concurrencé par de nouveaux acteurs dont Space X d'Elon Musk et leur modèle économique plus compétitif. Ariane 5 ne répondait plus aux nouveaux besoins et devait être remplacée par Ariane 6 et d'autres lanceurs européens.
Pourquoi l’Europe ne disposait elle plus de lanceurs ?
Car malheureusement, le projet Ariane 6 a pris beaucoup de retard et son premier décollage n'a toujours pas eu lieu. Le lanceur russe Soyouz utilisé par les Européens n'était plus une option alternative aux lanceurs Ariane en raison de la guerre en Ukraine. Cette même guerre priva le lanceur italien Véga-C des pièces nécessaires à sa conception qui provenaient de Russie. Bref, c'est une série d'événements qui a privé l'Europe de son indépendance dans le domaine spatial.
L'Europe cherche à réformer son modèle économique spatial désormais dépassé. Plus concrètement, cela veut dire quoi ?
Le secteur spatial européen survit grâce à des subventions publiques. Ce modèle là n'est toutefois plus adapté au monde d'aujourd'hui. La tendance est à la libéralisation de ce secteur à l'instar des États-Unis. Les États-Unis ont permis à des entreprises privées comme Space X de coexister avec la NASA. Ces entreprises privées bénéficient quand même d'un généreux soutien public, notamment grâce à des commandes publiques ou des partenariats, mais cela reste une révolution dans un secteur longtemps monopolisé par des acteurs publics. L'objectif est de rendre le secteur spatial européen plus compétitif face à des concurrents étrangers. De nombreux groupes plus petits développent désormais leurs mini-lanceurs répondant à une demande forte pour l'envoie de satellites en orbite basse. Quant à des projets plus ambitieux, le secteur public conservera toujours son importance.
Comment l'Europe se prépare-t-elle légalement à ces changements ?
La Commission européenne travaille déjà sur une loi spatiale européenne. L'idée est de créer un cadre juridique européen qui s'appuie sur trois piliers : la sécurité, la durabilité et la résilience. Par exemple, la loi vise à protéger les satellites de débris dans l'espace, à réduire l'empreinte environnementale des différents lancements ou à protéger les projets de cybermenaces. Parallèlement, cette loi a pour objectif d'harmoniser les différentes règles et libéraliser le secteur spatial. Cette loi doit être présentée cet été même si on peut s'attendre à de nouveaux retards.
Et le fonctionnement institutionnel du secteur spatial européen sera-t-il réformé ?
C'est indéniable que le fonctionnement institutionnel actuel doit être réformé. L'Union européenne est concurrencée et son modèle est dépassé si elle souhaite rester compétitive. Rappelons que de nombreux États européens ont leur propre agence spatiale, le CNES en France ou DLR en Allemagne. En même temps, l'Agence spatiale européenne coordonne les projets spatiaux des différents États européens qui en sont membres, mais certains États de l'UE n'en font pas partie et l'Agence n'est pas une institution européenne. L'Union européenne joue un rôle important notamment depuis le traité de Lisbonne, mais n'a pas assez d'autonomie ni de ressources pour se positionner comme un leader. Donc oui, on peut s'attendre à une réforme institutionnelle du secteur spatial européen, ou en tout cas on doit l'espérer, pour créer de l’ordre dans cette constellation d’acteurs.
Quelles seraient les solutions ?
On peut en mentionner quelques-unes. Les règles que le secteur européen respecte comme celle du geo-return nuisent à l'efficacité et à la compétitivité des programmes européens, et doivent être remplacées par d'autres. La coopération entre l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne doit être revue et renforcée, voire intégrer l'Agence à l'Union européenne. Les financements doivent être multipliés, et certaines questions essentielles comme l'utilisation du secteur spatial pour les questions de défense et de sécurité doivent être éclaircies.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron