"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire sur euradio qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina,
la fois précédente vous nous aviez parlé des canicules marines.
Quels
sont les impacts de ces canicules marines sur les écosystèmes ?
Et bien on peut dire que ces évènements de chaleur extrême poussent les écosystèmes à leurs limites de survie. Parmi les espèces les plus sensibles aux canicules marines, on trouve celles qui sont à la base des réseaux trophiques marins et qui abritent le plus de biodiversité, comme les récifs coralliens ou encore les puits de carbone que forment les prairies marine et les forêts de laminaires, ces grandes algues brunes.
Les canicules marines peuvent ainsi conduire à des épisodes de mortalité de masse pour les organismes fixés, comme les coraux, les algues ou les éponges. En parallèle avec l'augmentation sur le long terme de la température des océans, les canicules marines peuvent aussi favoriser la migration des espèces, en particulier de poissons, l'arrivée d'espèces invasives, et l'apparition de blooms d'algues toxiques.
C'est ce qui s'était passé en Australie en 2011?
Oui, la canicule marine qui a touché les côtes australiennes en 2011 pendant plus de 10 semaines a fait disparaître des écosystèmes entiers et a conduit à la disparition de certaines espèces sur des milliers de kilomètres de côtes.
Puis en 2014-2016 et aussi en 2019, on a parlé du « blob » d’eau chaude dans le Pacifique Nord-Est, qui a causé la mort d'oiseaux et de mammifères marins en Alaska et en Californie.
Et comme les canicules marines ne sont pas les seules menaces qui pèsent sur les écosystèmes marins, elles s'ajoutent donc à d'autres stress comme l'acidification des océans, la désoxygénation ou encore la surpêche.
De telles mortalités massives ont-elles aussi été documentées en Méditerranée ?
Oui, tout à fait. Dans une étude publiée en 2022, des chercheurs espagnols et leurs collègues ont montré que des évènements de mortalité de masse ont été causés par les canicules marines entre 2015 et 2019 sur des milliers de km de côtes, et entre la surface et 45m de profondeur. 50 espèces ont été touchées, en particulier des gorgones, des éponges, des coraux, des mollusques, des oursins, des algues rouges calcaires, ou encore des herbes marines.
Et quelles sont les répercussions économiques des canicules marines ?
Les canicules marines ont d'importantes conséquences socio-économiques, en particulier sur les pêcheries, l'aquaculture, et le tourisme. On a ainsi pu observer qu'elles pouvaient décimer ou fortement impacter certaines espèces d'intérêt économique comme le homard ou le crabe des neiges dans l'Atlantique Nord-Ouest, ou les coquilles Saint-Jacques sur la côte Ouest de l'Australie.
Un article paru en 2021 dans la revue Science a ainsi estimé que les canicules marines causaient déjà au minimum un préjudice économique direct de 800 millions de dollars et indirect de 3 milliards de dollars par an pour plusieurs années consécutives.
Que pouvons-nous faire ?
Déjà, il est indispensable de réduire au plus vite nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement global. D'après l'UICN, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, il faut ensuite renforcer la résilience des océans pour tenter de limiter l'impact des canicules marines sur les écosystèmes. Pour cela, l'IUCN encourage la création et la protection d'Aires Marines Protégées - qui soient réellement protégées - qui pourraient servir de refuge aux espèces de coraux, d'herbes marines, et de laminaires.
L'IUCN promeut également la mise en place de politique de gestion des pêcheries, voir de restriction de la pêche, pour limiter les pertes économiques liées aux canicules marines. Des chercheurs américains ont publié une étude en 2022 dans la revue Nature montrant qu'il est possible de prédire sur une année la probabilité d'apparition de canicules marines à l'échelle globale, ouvrant ainsi la voie vers des outils de prédiction de ces évènements extrêmes qui seraient utilisables par les décideurs.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.