Planète compromise ?

Les secrets de nos meubles en bois

Les secrets de nos meubles en bois

Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.

La semaine passée, vous nous parliez de votre addiction au chocolat mais je crois que vous avez une autre passion ?

Tout à fait Laurence, j’ai développé une passion pour le bois. Enfin, plutôt pour tout ce qui est fait en bois. Vous me direz, en soi c’est une passion comme une autre. Le problème, c’est que dès que je vois une table ou une chaise en bois, je ne peux m’empêcher de me demander d’où vient le bois, s’il a été coupé de manière légale et durable et s’il n’y aurait pas un peu de corruption dans l’histoire.

Pourquoi de la corruption ?

Exploiter le bois est une activité lucrative. Au niveau mondial, c’est plusieurs centaines de milliards de dollars de profit. Les activités forestières illégales sont également légion. Cela rapporte chaque année entre 50 et 150 milliards de dollars. Ce n’est donc pas étonnant que les forêts aiguisent l’appétit et que des acteurs peu scrupuleux ont recours à la corruption. La corruption permet d’avoir accès à la forêt, de contourner la législation pour exploiter du bois dans une zone protégée ou encore pour couper des essences d’arbres précieux comme le bois de rose. Selon Interpol, le coût global de la corruption dans le secteur forestier est de 29 milliards de dollars par an.

Ces pratiques se retrouvent-elles dans tous les pays ?

Oui, aucune région du monde n’est épargnée. L’Indonésie, le Myanmar, la République démocratique du Congo ou le Brésil sont fortement touchés. Mais au sein même de l’Europe, les forêts sont en danger. La Roumanie, par exemple qui est considérée comme le poumon vert de l’Europe, aurait perdu 50% de ses forêts primaires ces 20 dernières années. Les forêts roumaines sont dans leur grande majorité exploitées de manière illégale. On parle même de « mafia du bois », c’est dire le haut niveau de criminalité. La corruption permet de dissimuler l’exploitation illégale mais aussi de veiller à ce que le bois puisse continuer son chemin sans être saisi. Ce bois sert ensuite à fabriquer des meubles que l’on retrouve dans des enseignes bien connues qui vendent des meubles en kit. Sans le savoir, vous avez peut-être acheté des meubles issus de bois illégal et de corruption. Vous ne regarderez plus vos meubles de la même manière !

Qu’est-ce qu’on fait pour lutter contre ces activités illégales ?

Au niveau européen, le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts adopté en 2023 qui va remplacer le règlement européen sur le bois devrait éviter que du bois mais aussi des produits comme le café, le cacao, l’huile de palme, le soja ou le bœuf lié à la déforestation et à des pratiques illégales comme la corruption soient commercialisés en Europe. Le règlement doit être appliqué à partir de décembre mais un lobbying intense de pays européens, de pays producteurs de bois et d’industriels risque de retarder sa mise en œuvre d’un an. Aux Pays-Bas, un tribunal a considéré en 2018 qu’un importateur de teck du Myanmar(ex-Birmanie) aurait dû non seulement vérifier que le bois avait été coupé en conformité avec la législation du Myanmar mais aussi analyser le risque de corruption. Voilà ce sont des petites avancées.

Interview par Laurence Aubron.

Sources :

- Banque mondiale (2019), Illegal logging, fishing, and wildlife trade – the costs and how to combat it

- Hervé Bossy et Hugo Nazarenko (2021), À l’ombre des forêts roumaines, la corruption

- UNODC (2023), Eradiquer la corruption – introduction à la lutte contre la corruption qui alimente le recul des forêts

- Greenpeace (2024), Nature crime files

- Bruno Manser Fonds (2024), Ikea – smart outside, rotten inside