Nous retrouvons Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université pour sa chronique "Plongée dans les océans".
Sakina, vous nous aviez parlé d'huître la semaine passée. Cette semaine il va être question de saumon, alors ?
Oui, de saumon ! Mais en réalité, on appelle saumon plusieurs espèces différentes, qui appartiennent à la grande famille des salmonidés, qui inclus les saumons, mais aussi les truites ou les ombles. Chez les saumons on distingue le saumon atlantique, Salmo salar, qui appartient au genre Salmo, de leurs cousins les saumons du Pacifique, qui rassemblent plusieurs espèces du genre Oncorhynchus. Si vous achetez un plat préparé au saumon, vous pourrez vérifier s'il s'agit de saumon atlantique ou de saumon pacifique.
Ils font tous partis de la famille des salmonidés, c'est ça ?
Oui, en effet. Et tous ces poissons sont des poissons migrateurs, dits "anadromes" : ils naissent dans les rivières, rejoignent la mer une fois adultes, mais retournent dans les rivières pour y pondre. Ils sont donc capables de s'adapter à la vie en eau douce puis à la vie dans l'eau salée, et vice-versa.
Et c'est sportif de remonter les rivières pour aller y pondre j'imagine ?
Oui, c'est très physique ! Il faut remonter le courant et parcours parfois près de 1000 km pour rejoindre le lieu de ponte. Les saumons sont ainsi capables de faire des sauts de 2 à 3 mètres pour remonter la rivière. Pour leur permettre de passer les barrages construits par l'homme, on construit des échelles à saumon.
Des échelles ?
Oui, mais il s'agit en fait de séries de petits bassins des quels les saumons peuvent sauter pour rejoindre les bassins situés en amont. D'ailleurs, les saumons retournent pondre là où ils sont nés.
Et comment font-ils pour se repérer ?
On pense qu'ils sont capables de s'orienter grâce au champ magnétique terrestre, mais aussi de suivre l'odeur qui va les guider vers leur rivière de naissance. Mais c'est un périple de longue haleine, qui devient de plus en plus dur pour les saumons, car ils doivent aussi faire face à la pollution des rivières. D'ailleurs on estime que la plupart des espèces de saumon sont en déclin.
Combien de temps vit un saumon sauvage ?
On pense que dans la nature les saumons peuvent vivre 1 à 6 ans dans l'eau douce, le temps d'attendre l'âge adulte, puis 1 à 4 ans en mer. Au total, la durée de vit pourrait donc être de 10 ans, mais la plupart ne vivent que 4 à 6 ans. A l'âge adulte, les saumons peuvent attendre 40 à 70 cm, mais on a déjà observés des saumons de près d'un mètre cinquante ! Et les plus gros peuvent atteindre 46 kg.
Que mangent les saumons ?
Les saumons sont carnivores. Les jeunes qui vivent en eau douce se nourrissent d'insectes, de mollusques, de crustacées, et de petits poissons qui peuplent les rivières. Quant aux adultes qui vivent en mer, ils se nourrissent de crustacés, de calamars, et de poissons.
Vous disiez que les populations de saumons sont en déclin, mais est-ce aussi lié à la pêche ?
Oui en partie. Les saumons sont exploités pour leur chaire, que l'on consomme crue, en sushi ou en carpaccio par exemple, ou bien cuite. On consomme également les œufs de saumon, ces petites boules translucides et rosées de 5 mm de diamètre. Mais à vrai dire, le déclin des saumons sauvages est dû à de multiples facteurs : la pollution des rivières, les barrages et la destruction des habitats, la surpêche.
Mais le saumon est aussi élevé dans des fermes d'aquaculture, non ?
Oui, tout-à-fait. On élève des saumons depuis les années en Norvège et en Ecosse. Au départ, le but était d'élever des jeunes puis de les relâcher. Maintenant on les élève jusqu'à l'âge adulte pout les manger. Après la crevette, c'est le saumon qui est le deuxième produit de la mer obtenu par aquaculture. Pour vous donner une idée, plus de 90% du saumon de l’Atlantique que l'on consomme est produit par l’élevage et c'est quasiment l'inverse pour le saumon du Pacifique qui est surtout pêché.
L'élevage de saumon permet donc de préserver les populations naturelles j'imagine ?
Oui, en partie, mais ce n'est pas si simple. Certes, si on cultive les saumons, alors on en a moins besoin d'en pêcher. Mais comme les saumons sont carnivores, et bien il faut les nourrir, souvent à base de farine de poissons, et donc ces poissons qui vont servir à nourrir les saumons doivent être pêchés eux aussi, et très souvent par la pêche industrielle qui peut faire des ravages dans les écosystèmes marins.
Et comme tout élevage dès qu'il devient intensif, l'élevage du saumon peut aussi poser problèmes. En particulier, il génère alors de la pollution organique : les crottes de saumon apportent des nutriments en très grands nombres et contribuent au problème de l'eutrophisation. Dans ces élevages parfois très denses, il y a également des problèmes de parasites, qu'on appelle les poux des saumons, et qui sont en fait des copépodes parasites. Et contre ces parasites, on lutte parfois à coup de pesticides. Tout cela peut générer beaucoup de pollutions dans les fjords où sont élevés les saumons...
Mais il y a maintenant une filière d'aquaculture biologique qui se développe, non ?
Oui, c'est vrai, et elle permet de diminuer l'impact des élevages de saumons sur l'environnement. Il existe aussi une autre piste : il s'agit de ce que l'on appelle l'aquaculture multi-trophique intégrée. Ce type d'aquaculture prône une production marine durable. Le principe est simple : on élève des moules et on cultive des macroalgues brunes sous les bassins de culture des saumons, et ainsi ces moules et ces grandes algues vont bénéficier les rejets organiques des poissons, qui vont donc être recyclé pour générer de la nouvelle biomasse.
Mais la salmoniculture peut aussi être vertueuse. A Chanteuges dans l'allier se trouve le "Conservatoire du Saumon Sauvage", qui développe de la salmoniculture pour recoloniser l’ensemble du bassin de l'Allier et des environs, et ainsi assurer la conservation de ce poisson, et en particulier de cette souche endémique. Le Conservatoire du Saumon Sauvage peut ainsi produire plus de 2 millions d'oeufs et 200 000 jeunes saumons prêts à rejoindre la mer, afin d'assurer le repeuplement de ces cours d'eau, donc rien n'est perdu !
Sakina Ayata au micro de Cécile Dauguet
Photo : zoosnow via Pixabay
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