"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire sur euradio qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Aujourd’hui vous allez nous parler de l’impact des filtres anti-UV de nos crèmes solaires sur les coraux. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous rappeler ce que sont les coraux ?
Les coraux sont des animaux qui vivent en symbioses avec des microalgues appelées zooxanthelles, c’est-à-dire que ces microalgues vivent à l’intérieur des cellules du corail. C’est une interaction mutualiste, où chaque partenaire est gagnant-gagnant. En effet, les coraux se développent en particulier dans les eaux tropicales chaudes et relativement pauvres en nutriments. Mais grâce à leurs locataires photosynthétiques, nichés au plus profond de leurs propres cellules, les coraux bénéficient de la matière organique fabriquée par les microalgues grâce à l’énergie lumineuse. En retour, ces dernières bénéficient d’un environnement protégé et régulé, idéal pour leur croissance.
Et ce sont ces coraux qui forment des récifs coralliens ?
Oui. En l’occurrence, les récifs coralliens sont formés par des coraux durs ayant un squelette calcaire. Et ces récifs abritent une grande diversité d’espèces. Ces coraux font partie des espèces dite « ingénieures », c’est-à-dire qu’elles sont capables de modeler et de façonner l’écosystème. D’ailleurs, bien que les coraux en représentent qu’entre 0.1% et 0.2% du fond des océans, on pense qu’ils abritent un quart des espèces marines ! Certaines études estiment même que 30 à 40 % des espèces marines ont besoin de la présence des récifs coralliens à un moment de leur vie.
Et où trouve-t-on des récifs coralliens ?
Les plus grands récifs coralliens du monde se trouvent en Australie, en Nouvelle-Calédonie, en Floride et au Belize (en Amérique centrale). Mais la France serait le 4ème pays corallien du monde grâce à ses territoires d'outre-mer, comme la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie, ou Mayotte, qui regroupent 10 % des coraux mondiaux.
Les coraux ne vivent que dans les eaux chaudes ?
Non, car il existe aussi des récifs coralliens dits d’eaux froides, situés à plus grande profondeur et entre 4°C et 13°C, qui forment également des îlots de biodiversité, mais qui, eux, ne possèdent pas de microalgues symbiotiques.
Sakina, on parle parfois des « services écosystémiques » apportés par les coraux. Qu’est-ce que ça signifie ?
Ceci signifie que les coraux procurent d’importants bénéfices écologiques, économiques et sociétaux. Parmi ces bénéfices apportés par le corail, on trouve leur effet brise-lames, qui réduit les risques de submersion, mais aussi l’abri qu’ils apportent aux espèces marines comme les poissons, qui est bénéfique à la fois pour la biodiversité, pour la pêche et pour le tourisme. Ainsi, à l’échelle mondiale, ces services représenteraient 36 à 140 milliards de dollars par an, soit environ 33 à 130 milliards d’euros par an.
A l’heure de la crise climatique, j’imagine que les coraux sont menacés par les impacts de cette crise sur les océans ?
Oui, en effet, entre la hausse des températures et l’acidification des océans, on estime que 50% des coraux de la planète seraient menacés dans les 10-15 prochaines années. Les coraux sont aussi affectés par les tempêtes tropicales et l’arrivée d’espèces invasives, comme des étoiles de mer dévoreuses de corail. D’ailleurs, lors que les coraux sont soumis à des conditions stressantes, comme des vagues de chaleurs ou des pollutions, ils expulsent leurs microalgues et deviennent blancs. On parle de blanchiment des coraux. Et lorsque les conditions redeviennent favorables, les microalgues reviennent et le blanchiment s’arrête. Mais si ce phénomène dure trop longtemps, alors le corail peut mourir. Au sein de la grande barrière de corail, qui est le plus grand des récifs et se situe en Australie, 98% des coraux ont été touchés par le blanchiment depuis 1998.
Sakina, le changement climatique est-il la seule menace qui pèse sur les coraux ?
Non, ce n’est pas la seule, car d’autres impacts anthropiques les affectent, comme la sur-fréquentation des sites par les plongeurs et les pollutions côtières.
Et parmi ces pollutions, on trouve également des molécules toxiques en provenance de nos crèmes solaires ?
En effet, des études en laboratoire ont montré la toxicité de plusieurs filtres anti-UV organiques, comme l’octocrylène, un benzophénone, et un cinnamate, mais aussi d’un conservateur comme le butylparabène. Ces molécules favorisent l’infection par des virus des microalgues symbiotiques du corail. Des études sur le terrain ont également recensé jusqu'à 14 filtres anti-UV différents dans l'eau de mer au dessus des récifs coralliens, la majorité des concentrations étant de l’ordre de quelques nanogrammes par litre d’eau. Certes, à l’heure actuelle, il est dur de conclure que de telles concentrations pourraient causer des dommages importants sur les récifs, mais on ne peut pas non plus affirmer que les faibles concentrations observées n'ont pas un impact négatif. C’est pour ces raisons que plusieurs états ou pays, comme Hawaï ou la République de Palau, ont modifié leur législation pour interdire la vente et l’utilisation de certains filtres anti-UV dans les crèmes solaires.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.