Vous souhaitiez aborder cette semaine sur le thème de la culture du viol.
Oui. Il m’apparaissait très important de revenir sur cette notion, qui est au cœur du système de la domination masculine, la « culture du viol ». Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Selon ONU Femmes, il s’agit de « l’ensemble des comportements qui banalisent, excusent et justifient les agressions sexuelles, ou les transforment en plaisanteries et divertissements. Le corps des femmes y est considéré comme un objet destiné à assouvir les besoins des hommes. Ainsi, les commentaires sexistes abondent et ils créent un climat confortable pour les agresseurs. Dans une telle culture, la responsabilité de l’agression repose sur la victime, dont la parole est remise en cause. »
En bref, la culture du viol, c’est : la minimisation des actes, le retournement de la faute contre la victime, et des comportements qui donnent des excuses aux agresseurs.
Mais à quoi renvoie concrètement cette notion ?
On peut citer de nombreux exemples concrets de phrases que nous avons tous déjà entendu·es et qui participent de cette culture du viol : « les hommes seront toujours des hommes », « elle n’avait qu’à pas être ivre », ou encore « Les femmes disent “non”, mais en fait ça veut dire “oui”. »
Demander à une femme lors de sa plainte au commissariat comment elle était habillée relève de la culture du viol, car cela fourni une possible justification, qui n’en est pas une, à l’agresseur.
Mettre des passages d’agressions sexuelles à la télévision dans un bêtisier relève de la culture du viol, car on fait passer ce type de comportement pour quelque chose de drôle et de léger.
Apprendre aux filles à ne pas se faire violer plutôt qu’aux garçons à ne pas violer, c’est ça, la culture du viol.
Et il y a aussi tout un imaginaire construit autour de la figure du violeur, comme le rappelle la sociologue Laurence Carpentier-Goffre. C’est l’idée que le viol serait un acte de déviance rare, une agression violente qui serait le fait d’un psychopathe qu’on rencontre malheureusement dans l’espace public. On a tous cette image d’un viol perpétré la nuit dans une rue ou un parking sombre par un inconnu. Alors que statistiquement, une femme est plus en danger chez elle avec un homme qu’elle connaît, que dans ce type de situation, car dans 90 % des cas, la victime connaît son agresseur. C’est donc aussi cela la culture du viol : cet imaginaire qui nous empêche d’appréhender la vérité de ce crime.
Et est-ce que la justice permet de lutter contre cette culture du viol à travers ses condamnations ?
Et bien, sans surprise, la réponse est non. Pourquoi ?
Déjà parce que dans la grande majorité des cas, les victimes ne vont pas porter plainte. Par exemple, en 2020, 112 000 viols ou tentatives de viols ont été déclarés. Sauf que seulement 4 577 personnes ont été poursuivies, et la quasi-totalité a été mise en examen. Et in fine, on compte seulement 683 condamnations, ce qui représente 15 % des viols enregistrés par la police, mais seulement 0,6 % des viols déclarés. On assiste donc à un manque clair de condamnations.
Pour lutter contre cette impunité, il faudrait que les victimes aillent porter plainte. Ça paraît très simple dit comme ça, mais ce sont toutes les procédures d’accueil de la parole des femmes dans les commissariats qui seraient à repenser, pour que cette étape ne soit plus rebutante et ne dissuade plus les victimes d’entamer des poursuites contre leur agresseur.
Aussi, beaucoup de victimes savent que la procédure a très peu de chances d’aboutir, comme l’illustrent les chiffres précédemment évoqués. Il faudrait donc que le taux de condamnation augmente. Sauf que la vérité autour des accusations pour viols est très difficile à déterminer.
Qu’est-ce qui fait la particularité de ces accusations, et pourquoi est-ce si compliqué de condamner ?
Et bien l’un des principaux problèmes dans ce type d’accusations, c’est que c’est souvent parole contre parole. L’un accuse, l’autre récuse. Et comme il s’agit d’un événement qui a lieu, la plupart du temps, dans une certaine intimité : il n’y a pas de témoin·tes.
De plus, ce qui peut s’apparenter comme des preuves, comme par exemple des marques sur le corps, peuvent être justifiées par des gestes physiques logiques dans les circonstances d’un rapport sexuel.
Et enfin, parfois, il peut aussi y avoir plusieurs perceptions de la vérité, c’est qui rend la détermination d’une vérité impossible.
Qu’entendez-vous par là ?
Je pense qu’une femme peut avoir été victime d’un viol, et que l’homme pense sincèrement avoir obtenu son consentement, et donc, ne pas avoir violé. La femme ne ment pas. Il est simplement très complexe de déterminer, et d’autant plus devant un juge, s’il y avait consentement.
Cette question est donc très complexe, mais elle ne doit pas occulter tout ce sur quoi nous pouvons agir : l’accueil des victimes dans les commissariats, leur accompagnement psychologique, un soutien matériel et humain, la sensibilisation, et aussi, cette culture du viol qui anime notre société et nos discussions.
Ne minimisons plus, ne responsabilisons plus la victime de son agression, et arrêtons d’évoquer la potentialité d’un mensonge lorsqu’une femme victime ose s’exprimer. Évoque-t-on un possible mensonge lorsqu’un individu porte plainte pour escroquerie, diffamation, tapage nocturne, ou que sais-je ? Non.
Condamnons fermement toute parole issue de cette culture du viol. Mais surtout, dialoguons, communiquons, expliquons, et sensibilisons sur le consentement. Oui et non, des mots en apparence si simples, qui doivent être notre priorité.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.