Vous abordez cette semaine la cause de l’avortement en Europe.
Tout à fait, je souhaitais revenir cette semaine sur un droit si important et acquis si difficilement par les femmes : celui du droit à l’avortement. Maitriser sa fécondité et choisir ou non de donner la vie, c’est simplement donner la possibilité à une femme de décider par elle-même pour elle-même.
La dépénalisation de l’avortement, c’est aussi le moment où les femmes ont repris le contrôle de leur vie et de leur corps. Un moment où on a mis fin à cette loi faite par des hommes, un moment où l’on a fait cesser cette expression du pouvoir masculin sur le corps des femmes.
On a commémoré cette semaine les 50 ans du procès de Bobigny. Mais que représente ce procès pour l’accès au droit à l’avortement en France ?
Le procès de Bobigny est un moment charnière pour l’accès au droit à l’avortement en France. En 1972, comparait à la barre Marie-Claire Chevalier, une jeune fille de 17 ans accusée d’avoir avorté à la suite d’un viol. 4 autres femmes seront aussi jugées pour complicité, dont sa mère et la faiseuse d’ange.
Ce qui fait le caractère historique de ce procès, c’est la politisation qu’en a fait Gisèle Halimi. Elle a transformé le jugement de ses clientes en jugement contre la loi qui pénalise l’avortement. Elle s’est servie du tribunal comme une tribune pour réclamer le droit à l’avortement, le droit à la contraception, et à l’éducation sexuelle.
Mais elle a surtout réclamé une justice de classe.
Oui, seules les femmes les plus modestes étaient jugées dans ce type d’affaire. Dans sa plaidoirie, Gisèle Halimi insiste sur l’inégalité sociale face à cette pénalisation de l’avortement, soutenue par les slogans énoncés à l’extérieur du tribunal : « L'Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres !»
On salue aujourd’hui cette héroïne d’hier, Gisèle Halimi, tout comme Simone Veil, mais quand il s’agit d’allonger la durée de l’avortement ou de l’inscrire dans la constitution, un oui massif ne l’emporte toujours pas.
Vous mentionnez le projet de constitutionnalisation de l’avortement en France, mais à quoi renvoie cette proposition ? Et quelles en sont les justifications ?
Alors, c’est la sénatrice Mélanie Vogel qui a déposé cette proposition de loi de faire rentrer le droit à l’avortement dans la constitution. Mais la Commission des lois du Sénat a rejeté cette mesure, arguant de son « inutilité », et la réduisant à une « démarche purement proclamatoire et symbolique ».
Non, le droit à l’IVG a toute sa place dans la constitution, car comme l’affirme Anne-Cécile Mailfert, « Choisir d’être mère, est un droit fondamental ». Mais constitutionnaliser le droit à l’avortement, c’est surtout le protéger. Simone de Beauvoir nous a prévenu en affirmant « qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
L’exemple américain, où le Sénat est revenu sur l’arrêt Roe VS Wade, en est une illustration. Dès lors, inscrire le droit à l’avortement serait un message fort contre toutes les atteintes portées à son encontre, et notamment celles qui ont lieu en Europe.
Quelles sont ces atteintes au droit à l’avortement sur le continent européen ?
Il y a encore 4 pays qui interdisent ou limitent fortement le droit à l’IVG : c’est le cas de la Pologne, Chypre, Andorre et Malte. L’accès à l’avortement n’est donc pas encore un droit universel sur le continent.
Et même dans des pays où l’IVG est autorisée, il reste parfois difficile d’avorter, notamment à cause de « l’objection de conscience », présente dans 23 pays européens, et qui autorise les médecins à ne pas pratiquer l’avortement.
De même, en Espagne, le Sénat a adopté en 2015 une loi interdisant aux mineurs d’avorter sans l’autorisation de leurs parents. Et au Portugal, tous les frais liés à l’IVG sont à la charge des femmes, qui doivent également se soumettre à un examen psychologique approfondi si elles veulent avorter.
Le droit à l’avortement n’est pas acquis en Europe et encore moins dans le monde. Soyons donc alertes face à ses potentielles remises en cause et battons-nous pour son accès et pour son application. Restons vigilants et vigilantes notre vie durant, pour toutes ces femmes qui en ont payé le prix de leur vie, mortes en avortant clandestinement. Pour la cause de l’avortement, un droit fondamental.
Entretien réalisé par Laurence Aubron