Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait d'une artiste !
Petite entorse à d’habitude, la femme artiste dont vous nous parlez aujourd’hui… est américaine
Oui, mais ne vous inquiétez pas, s’il y en a une dont la vie va finir par nous ramener en Europe, c’est bien elle. Elizabeth Miller, dite Lee, naît le 23 avril 1907 dans une petite ville près de New-York. Élevée dans un milieu progressiste et cultivé, la photo est omniprésente dans sa vie. Quand elle est ado, son père, qui est un photographe amateur, l’a fait souvent poser, parfois nue. Sa grande beauté la fait repérer dans la rue alors qu’elle est étudiante à New York. À 20 ans seulement, elle fait la couverture de Vogue. Mais un évènement met un coup d’arrêt à sa carrière. La marque de protections hygiéniques Kotex, utilise une photo de Lee pour illustrer la première campagne de publicité dans l’histoire avec une égérie de chair. Lee, qui n’a pas donné son accord, se retrouve au cœur d’un scandale dans une Amérique encore très puritaine.
Devenue persona non grata, à 22 ans elle met les voiles pour l’Europe
À Paris, elle fait la rencontre de Man Ray, grand photographe surréaliste. Elle devient son assistante, sa muse mais aussi son amante. Il a 17 ans de plus qu’elle. Ensemble, ils vont découvrir la technique de la solarisation, qui inverse les tonalités des images. Lee continue de poser, pour Ray et d’autres. Mais c’est à cette époque qu’elle passe aussi de l’autre côté de l’objectif. C’est l’une des rares femmes à se servir de la photo dans une démarche de création artistique. Le compagnonnage des autres surréalistes lui plaît : elle est très sociable. Une grande partie des photos immortalisant leur amitié de cette époque ont été prises par Lee. Après 3 ans, elle quitte, non sans peine, Man Ray, horriblement possessif. Je vous passe les détails des années suivantes, où Lee Miller retourne aux États-Unis, tient sa première expo, se marie avec un riche homme d’affaire égyptien, retourne en France… pour me rendre en 1940.
C’est la guerre en Europe, Lee a 33 ans, et elle vit à Londres avec l’artiste surréaliste britannique Roland Penrose
Alors que Londres est assaillies par les bombes, elle sort son appareil et documente le Blitz pour le compte du British Vogue. Devant ses talents pour le reportage, elle est accréditée en 1942 par l’US Army comme correspondante de guerre. Deux ans après, elle suit outre-manche la 83e division depuis le débarquement jusqu’à Colmar. C’est le début d’un périple dans une Europe dévastée. En avril 1945, elle est l’une des premières à prendre des images des camps de concentration libérés, à Buchenwald et à Dachau. La veille du suicide d’Hitler dans son bunker, elle s’infiltre dans l’appartement du Führer à Munich. C’est là que David E. Scherman, son acolyte photographe, prendra l’un des clichés les plus incroyables de Lee : en train de se laver dans la baignoire d’Hitler, ses bottes de terrain crottées sur le tapis blanc.
Après un voyage documentaire de plusieurs mois en Europe centrale, Lee est contrainte à une pause en 1946
Souffrant d’un choc post-traumatique, elle tombe dans l’alcool et la dépression. Elle s’installe dans la campagne du Sussex en compagnie de Roland Penrose avec qui elle a un fils, Anthony. Durant les années qui suivent, elle fait encore un peu de photo, mais passe au moins autant de temps à … remporter des concours culinaires. Et oui, car dans le dernier chapitre des milles vies de Lee Miller, elle se fait un petit nom dans le monde de la gastronomie, en se spécialisant dans les mets anciens. Elle meurt à 70 ans d’un cancer, le 21 juillet 1977.
Après être tombée peu à peu dans la seule confidence de quelques passionnés, elle connaît depuis une vingtaine d’année un regain d’intérêt.
Sa contribution au surréalisme, son activité de photojournaliste de guerre, sa vision artistique et sa vie de femme libre en ont fait une véritable icône. C’est Kate Winslet qui l’incarnera bientôt à l’écran dans le long-métrage Lee, de la réalisatrice Ellen Kudras, sur ses années de correspondante pour l’armée américaine. Et petite anecdote, l’actrice raconte qu'elle a en partie financé de sa poche le tournage, tant la recherche de producteur a été difficile dans l’univers misogyne d’Hollywood.