Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait d'une artiste !
Ce lundi, vous nous emmenez outre-manche
Sur les falaises accidentées de la Cornouailles à l’extrême sud-ouest de l’Angleterre : la terre magique choisie d’Ithell Colquhoun, peintre et écrivaine d’ouvrages d’occultisme anglaise. Elle naît le 9 octobre 1906 à des milliers de kilomètres de là, à Shillong, dans les Indes britanniques où sa famille est installée. Elle n’a pas vraiment le temps de s’imprégner de la culture locale. Les Colquhoun reviennent vivre dans le Dorset alors qu’elle est encore bébé. À 17 ans, la jeune Ithell découvre le monde des sciences occultes grâce aux livres d’Aleister Crowley, célèbre magicien et franc-maçon britannique. S’en suit peu de temps après, une deuxième découverte fondamentale : la peinture. Elle part étudier dans de grandes écoles d’art londoniennes. En 1929, à seulement 23 ans, elle remporte un prix pour Judith présentant la tête d’Holopherne. Son tableau est un clin d’œil très probable à la peintre italienne renaissante Artemisia Gentileschi, qui a détournée la scène biblique pour raconter son propre viol.
Dans les années 1930, Ithell parcours l’Europe
Elle s’installe un petit studio à Paris comme pied-à-terre. Mais comme elle est surtout attirée par les rivages, elle voyage aussi en Corse, sur les îles Canaries et en Grèce. Là-bas, elle rencontre une femme : Andromaque Kazou, dont elle tombe très amoureuse. Elle lui dédiera plusieurs dessins et un texte non publié « Lesbian Shore » (la « plage lesbienne »). La jeune grecque décline son invitation à venir s’installer avec elle à Londres, et c’est seule qu’Ithell retourne à la grisaille. En 1936, elle est déjà une artiste peintre reconnue dans les milieux de l’avant-garde, quand elle rencontre Salvador Dali à l’Exposition surréaliste de Londres.
Cette rencontre artistique marquante la pousse à se rapprocher du mouvement
Elle devient une membre importante du groupe surréaliste britannique. Mais en 1940, elle se fait brutalement exclure du cénacle. Il faut savoir qu’Ithell est, depuis ses années étudiantes, membre de plusieurs sociétés occultes. Or, le groupe surréaliste possède tout un attirail de règles plus ou moins contraignantes à respecter, dont l’interdiction formelle d’appartenir à une autre organisation. L’écrivain belge installé à Londres E.L.T. Mesens, tient tout particulièrement à cette règle et ne fait pas de cadeau à Ithell. Malgré cette exclusion, elle conserve dans sa pratique plusieurs principes créatifs du surréalisme, tels que l’expérimentation et l’automatisme. Elle va même inventer de nouveaux procédés comme le parsemage, la graphomanie et la stillomanie.
Son œuvre explore les thèmes de la biologie, de la sexualité et bien sûr, de la spiritualité
Il est vrai que bon nombre de surréalistes, et surtout les femmes, ont intégrés l’occultisme dans leur pratiques. Mais l’intérêt d’Ithell Colquhoun va beaucoup plus loin. Après son très cours mariage et divorce au début des années 1940 avec l’artiste et critique Toni del Renzio, Ithell va partager sa vie entre Londres et les Cornouailles. C’est dans ces terres balayées par les éléments et marquées par la mythologie celte, que l’occultisme prend une place grandissante chez l’artiste. Elle habite quelques années seule dans une cabane rudimentaire situé dans le petit village de Lamorna, qu’elle surnommait « Vow cave », la cave des souhaits. C’est ici qu’elle écrit beaucoup d’essais sur la magie, la taromancie et la Cabbale. En 1975, elle publie le fruit d’années de recherche : la première biographie d’ampleur sur Samuel Liddel MacGregor Mathers, occultiste fondateur de la société secrète Golden Dawn : « l’aube dorée ».
Elle décède en 1988, à l’âge de 81 ans, à Lamorna
Parce qu’elle a passé ses dernières années éloignée du monde de l’art londonien, elle est à sa mort presque une inconnue. Ses œuvres sont dispersées entre ses amis et des associations de charité. Les décennies passent, mais en 2019, un legs de 5 000 de ses œuvres au Tate Modern de Londres fait sortir cette artiste singulière de l’ombre. Sa contribution philosophique unique à l’occultisme commence aussi à être reconnue, faisant d’Ithell Colquhoun, l’une des « surréalisantes » les plus fascinantes du siècle dernier.
Sources :
Amy Hale, “The magic surrealism of Ithell Colquhoun”, Art UK, 17 juin 2020, https://artuk.org/discover/stories/the-magic-surrealism-of-ithell-colquhoun
Page Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Ithell_Colquhoun#cite_ref-ODNB_2-1
The Guardian, Steward Lee, “Touched by the hand of Ithell: my fascination with a forgotten surrealist”, 11 octobre 2021 https://www.theguardian.com/culture/2021/oct/11/touched-ithell-colquhoun-forgotten-surrealist-stewart-lee
« Queer Cornwall : Marlow Moss, Gluck and Ithell Colquhoun in Lamorna”, Tate, 29 octobre 2022 https://www.youtube.com/watch?v=uaOUpC2Dzgw
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.